Une vague… de CO2

[Temps de lecture moyen 5 min]

Début mai je vous ai parlé dans un précédent article de la baisse historique des émissions de CO2 mondiales en 2020, du fait de la récession économique provoquée par le Coronavirus. « C’est toujours ça de gagné », « bonne nouvelle pour la lutte contre le réchauffement climatique », vous-êtes-vous peut-être dit.
Vraiment ? Voyons cela.

Depuis la fin des années 50, l’observatoire de Mauna Loa situé à Hawaï mesure chaque jour le taux de CO2 dans l’atmosphère. D’autres stations de mesure ont été créées ensuite ailleurs dans le monde mais celle-ci est remarquable car c’est la seule à fonctionner sans discontinuer depuis aussi longtemps.
Etant donné que le CO2 se dilue très rapidement (en quelques jours) dans l’atmosphère après avoir été émis, les mesures de longue durée faites à Mauna Loa donnent une bonne représentation de l’évolution du taux de CO2 dans l’ensemble de l’atmosphère.
Voici l’intégralité des mesures que l’observatoire a réalisées depuis 1957 :

Mesure du taux de CO2 dans l’atmosphère à Mauna Loa
En abscisse : années de 1957 à nos jours ; en ordonnée : taux de CO2 en ppm (parties par millions : 400ppm = 0,04%)
[en rouge les taux réellement mesurés ; en noir l’évolution du taux corrigée des variations saisonnières]

[CURIOSITÉ] Pourquoi le taux de CO2 varie-t-il annuellement ?
On remarque que la courbe rouge, montrant les valeurs réellement mesurées jour après jour, oscille annuellement : à partir de juin le taux de CO2 chute jusqu’en septembre, puis remonte à partir d’octobre jusqu’en mai, et ainsi de suite.
Pourquoi cette variation ? Elle est due à la végétation terrestre qui, du printemps à l’été connait un fort développement et donc une activité photosynthétique – consommatrice de CO2 – accrue, suffisante pour faire baisser le taux de CO2. A partir de l’automne et en hiver, les feuilles tombent et la photosynthèse s’arrête, ce qui fait que le taux de CO2 remonte.
Vous allez me dire que cette explication est valable pour un hémisphère seulement, et que si on prend en compte les deux hémisphères nord et sud les phénomènes doivent se compenser… Et bien non : la surface de terres émergées est beaucoup plus importante dans l’hémisphère nord (vérifiez sur un planisphère…), du coup le phénomène prend le pas sur celui de l’hémisphère sud et n’est pas compensé.
Voici, pour finir ce petit zoom, une vidéo réalisée par la Nasa montrant sur un an comment évoluent les concentrations de C02. On voit très bien les émissions de gaz se diluer dans toute l’atmosphère, avec cette oscillation annuelle bien marquée :

Que voit-on sur la courbe de l’observatoire de Mauna Loa ? Imperturbablement, le taux de CO2 augmente de façon exponentielle. Rien n’a perturbé cette évolution depuis plus de 60 ans : aucun évènement, aucune crise économique ou sanitaire, aucune réglementation, rien.
Depuis 800 000 ans il variait entre 180 et 290 ppm, et il atteint aujourd’hui des valeurs supérieures à 400 ppm que la Terre n’a pas connu depuis plusieurs millions d’années.

Fin mai / début juin est, chaque année, la période pendant laquelle le taux de C02 dans l’atmosphère bat un nouveau record à la hausse. Qu’en est-il en cette année 2020 que le coronavirus a rendu si particulière ? Zoomons sur les dernières mesures :

Évolution du taux de CO2 dans l’atmosphère mesurée à l’observatoire de Mauna Loa à Hawaï.
Vous voyez un changement en 2020 ?

Malgré la crise et la récession économique, 2020 ne fait pas exception :
418,32 ppm ont été mesurés le 1er juin à l’observatoire de Mauna Loa : un nouveau record. Il bat celui de l’année dernière (415 ppm), qui battait celui de l’année précédente (411 ppm)… Pas de changement.

Pourquoi ? Comment se fait-il qu’on ne voit aucune amélioration alors que cette année les émissions ont historiquement diminué (prévision d’environ -8% sur toute l’année 2020) ?
Pour le comprendre, il faut avoir en tête que quand on évoque une « diminution des émissions de CO2 », cela signifie une diminution de la quantité de CO2 que l’on va ajouter cette année à l’atmosphère. Concrètement, au lieu d’ajouter cette année environ 40 milliards de tonnes de CO2 à l’atmosphère, on ne va en ajouter que… peut-être 37. Ou 36. Voilà, c’est tout. La belle affaire ! C’est une toute petite différence et c’est pourquoi l’effet est quasi invisible au niveau global.

L’ampleur du réchauffement climatique en cours et à venir dépend directement de la quantité absolue de CO2 dans l’atmosphère : en effet c’est de cette quantité dont dépend le niveau du bien connu « effet de serre », dont l’augmentation est responsable du changement climatique.
Pour contenir le réchauffement climatique il est indispensable de stopper cette hausse et stabiliser la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère. Pour y arriver un jour, il est nécessaire de diminuer effectivement nos émissions dans des proportions similaires à la diminution observée en 2020, et cela chaque année pendant des années et même pendant des décennies ! Voilà l’ampleur de la tâche qui nous attend.

Ce petit article avait pour but de vous faire comprendre l’ordre de grandeur des efforts qui doivent être accomplis au niveau mondial chaque année dans le sens d’une décarbonation de nos activités.
Ceux-ci et les changements à mettre en œuvre pour y parvenir (autrement qu’avec une crise sanitaire chaque année pendant des décennies, s’entend !) sont LE défi que l’Humanité a collectivement à relever.

Pour finir sur une note… artistique, avec un clin d’œil à mon précédent article relatif à une vague « cartographique », voici un dernier graphique :

C’est une autre représentation de l’évolution du taux de CO2 dans l’atmosphère mesuré à Mauna Loa : en ordonnée figure le taux de CO2 en ppm et en abscisse les mois de janvier à décembre. Il y a une courbe par année.
Si vous connaissez(*) la fameuse estampe « La vague » (son vrai titre est « La Grande Vague de Kanagawa« ) de l’artiste japonais Hokusaï, vous aurez tout de suite tilté que cette représentation lui fait une très belle (à mon goût) référence !

Philippe

(*) Si vous ne la connaissez pas, cliquer ici !

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