Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le nucléaire…

[Temps de lecture moyen 57 min]

… en 11 questions.

C’est parti pour un tour d’horizon du fonctionnement des centrales nucléaires et des caractéristiques de l’exploitation de cette énergie.
Comme d’habitude, je me suis attaché à vulgariser le plus possible : pas de mots compliqués ni de concepts trop techniques, ou alors il y a l’explication qui va avec.

Voilà le programme :
Comment fonctionnent les centrales électriques ?
Qu’est-ce que la radioactivité ?
Qu’est-ce que la fission ?
Une centrale nucléaire, comment ça marche ?
Le nucléaire, c’est dangereux ?
Le nucléaire, c’est risqué ?
L’accident nucléaire : possible ?
Séismes, tsunamis et inondations : quels sont les risques ?
Quid du vieillissement des centrales ?
Le démantèlement des centrales : on sait faire ?
Que faire avec les déchets nucléaires ?

Si vous voulez parcourir le panorama complet alors installez vous confortablement, prévoyez un peu de temps devant vous et lisez tout tranquillement dans l’ordre. Sinon faites votre marché et allez directement lire les points qui vous intéressent : les 11 questions ci-dessus sont cliquables pour aller lire directement le paragraphe concerné ;-)

Bonne lecture !

Comment fonctionnent les centrales électriques ?

Commençons par le grand principe fondamental : quasiment toutes les centrales électriques thermiques(1), qu’elles soient au charbon, au gaz, au fuel ou nucléaires, fonctionnent sur le même principe. Ce sont des turbines à vapeur. Mode d’emploi :
– chauffer de l’eau,
– produire de la vapeur,
– envoyer cette vapeur sous pression dans une turbine pour la faire tourner, entraîner un alternateur et produire de l’électricité,
– refroidir la vapeur (avec un circuit d’eau froide distinct) pour la condenser et la retransformer en eau,
– renvoyer l’eau au début du circuit avec une pompe et recommencer.
On utilise la force de la vapeur depuis la révolution industrielle, rien de bien nouveau, finalement !

Schéma ultra-simplifié du fonctionnement d’une centrale électrique

Simple, non ? Vous pouvez le faire chez vous en branchant un tuyau sur une cocotte-minute contenant de l’eau, en la mettant sur le feu, en envoyant la vapeur sur les pales d’une petite hélice que vous aurez relié à une dynamo de vélo et voilà, vous produisez de l’électricité. Une centrale électrique c’est pareil, c’est juste plus grand et un tout petit peu plus compliqué ;-)

La différence entre les types de centrales c’est la source de chaleur pour chauffer l’eau. Celle-ci est obtenue :
– soit en brûlant des combustibles (charbon, gaz, pétrole, …) ,
– soit en utilisant l’énergie nucléaire.

Qu’est-ce que la radioactivité ?

Nous savons que toute la matière qui nous entoure, et dont nous sommes faits, est constituée d’atomes. Il en existe de multiples sortes, vous en connaissez un certain nombre : le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, le fer, le lithium, l’uranium, l’argon, le chlore, etc… On les classe dans un tableau qui s’appelle la table de Mendeleiev (souvenir de cours de votre jeunesse, peut-être ?).
Tous les atomes sont constitués d’un noyau contenant des protons et des neutrons, avec des électrons qui tournent autour. C’est le nombre de protons qui détermine de quelle sorte d’atome il s’agit : 1 proton, c’est de l’hydrogène, 2 protons c’est de l’hélium, etc…

La radioactivité, c’est dans les noyaux que ça se passe (le terme nucléaire provient d’ailleurs du latin nucleus qui signifie noyau). Il se trouve que, de manière naturelle, certaines sortes d’atomes ont un noyau qui est instable : au bout d’un certain temps(2) ils se désintègrent tous seuls, spontanément et sans prévenir, et se transforment en une autre sorte d’atome, tout en émettant des rayonnements et des particules : c’est ça la radioactivité, découverte par Henri Becquerel et confirmée par Marie Curie au début du XXe siècle avec la découverte du radium. Ce phénomène existe depuis que les atomes existent dans l’univers : la radioactivité est un phénomène naturel.
Des atomes radioactifs existent naturellement dans l’environnement terrestre, y compris dans notre propre corps : dans un être humain adulte, il se produit à chaque seconde plusieurs milliers de désintégrations radioactive spontanées, dues à la présence d’atomes naturellement radioactifs qui proviennent des aliments que nous mangeons. Nous sommes tous naturellement radioactifs !

En plus des atomes radioactifs existants depuis toujours sur Terre, nous créons aussi artificiellement d’autres atomes radioactifs qui ne sont pas (ou plus) présents naturellement. C’est le cas dans les réacteurs des centrales nucléaires.

La radioactivité, c’est dangereux ?

La radioactivité peut-être dangereuse : si vous allez faire un câlin de quelques minutes à un assemblage de combustible usagé radioactif qui sort d’un réacteur nucléaire, vous mourrez à brève échéance !

MAIS… la dangerosité de la radioactivité dépend de la dose que vous recevez. On ne peut pas raisonner de manière binaire :
– pas de radioactivité = pas de danger,
– radioactivité = danger.
En réalité il n’y a jamais aucune radioactivité : nous baignons en permanence dans un peu de radioactivité due à l’environnement naturel… mais ce n’est pas dangereux.

On utilise une unité spécifique pour mesurer les doses de radioactivité et leur impact sur l’être humain : le millisievert (prononcer « milisiverte », son abréviation est mSv). Voici quelques chiffres pour mieux comprendre les ordres de grandeur de doses de radioactivité, en mSv, et leur dangerosité.

  • 2 à 5 mSv par an : c’est la dose de radioactivité à laquelle nous sommes tous soumis naturellement à cause de l’environnement. Cette radioactivité est notamment due au fait que les roches (particulièrement les roches granitiques ) qui constituent les sols émettent, partout, en permanence, un gaz radioactif, le radon. Nous baignons tous, naturellement et en permanence, dans un peu de radioactivité, variable selon les régions. Si vous êtes breton – région granitique – et que votre maison a une cave pas trop bien ventilée, alors vous prendrez une dose de radioactivité plus importante en allant chercher une bouteille de vin qu’en allant visiter une centrale nucléaire…
  • 20 mSv par an : c’est le seuil réglementaire, en France pour les travailleurs. Aucun travailleur ne doit être exposé, du fait de son activité professionnelle, à plus de 20mSv par an. Pour l’anecdote, sachez que les travailleurs les plus exposés ne sont pas ceux du secteur du nucléaire… Les plus exposés à la radioactivité sont les pilotes de lignes et les stewards et hôtesses de l’air ! Cela est dû aux rayonnements qui proviennent du soleil et qui les atteignent plus que nous, les personnes au sol, car la couche d’atmosphère qui les protège est moins épaisse.
  • 100 mSV par an : c’est le seuil en dessous duquel on ne constate aucun effet sanitaire dû à la radioactivité : aucune maladie ou affection directe, aucune augmentation de probabilité de cancer, rien.
    Retenez ce seuil, il est important : en dessous de 100 mSv par an il n’y a aucun effet décelable sur l’être humain, à court, moyen ou long terme, d’une exposition à la radioactivité. Pas d’augmentation de probabilité de cancer même longtemps après, rien. Pour ceux qui doutent de cela, songez que l’on étudie la radioactivité et ses effets depuis plus d’un siècle (Marie Curie, souvenez-vous, début du XXe) et que ce seuil est solidement établi par des décennies d’études et d’observations des effets de la radioactivité. D’ailleurs heureusement que ce seuil d’innocuité existe : si par exemple vous allez passer un scanner c’est 10 mSv que vous allez recevoir en une seule fois… et qui s’ajoutent aux quelques mSv naturels… mais votre total annuel reste en dessous de 100, ouf ! Les examens médicaux de type scanner, radiographie… sont une source importante de radioactivité pour l’être humain.
  • au dessus de 100 mSv, plus on monte et plus on commence à voir augmenter progressivement les probabilités de cancer à long terme
  • 1000 mSv est le seuil au dessus duquel apparaissent des effets immédiats sur la santé, avec risque vital pour les semaines ou mois qui suivent.
  • Plus on monte en dose au delà de 1000 mSv et plus l’effet est grave et rapidement mortel.

En résumé pour les doses en dessous de 100 mSv :

Doses efficaces et limites réglementaires (source)

Qu’est-ce que la fission ?

Nous avons vu plus haut que les atomes sont constitués de noyaux (neutrons + protons) et d’électrons. Or, il se trouve que certains noyaux d’atomes, notamment l’uranium(3), ont une particularité : quand on envoie un neutron sur ces noyaux, ils se cassent en deux en libérant de l’énergie et d’autres neutrons : c’est la fission. C’est ce phénomène qui est utilisé dans les centrales nucléaires.

La fission est doublement intéressante :
1) l’énergie récupérée, sous forme de chaleur, est ce qui est recherché comme indiqué plus haut : c’est elle que l’on veut pour chauffer l’eau et produire de la vapeur.
2) les neutrons émis vont pouvoir aller fissionner d’autres atomes, produire de l’énergie à leur tour, et encore d’autres neutrons, etc.. C’est la réaction en chaîne(4). En la contrôlant à l’aide de dispositifs absorbeurs de neutrons, nous avons un réacteur nucléaire, qui chauffe notre eau et que l’on peut piloter.

Les deux morceaux issus du noyau d’uranium coupé en deux sont des atomes radioactifs : se sont des sous-produits de la réaction, qui vont eu-mêmes se désintégrer en d’autre atomes radioactifs. Tous ces sous-produits vont constituer les déchets qui seront ensuite retraités (voir paragraphe sur les déchets).

Voilà, vous connaissez maintenant le principe de la fission nucléaire !

Un atome qui a cette capacité à se couper en deux en recevant un neutron est un atome dit « fissile ». L’uranium est le seul atome fissile à être présent naturellement dans la croûte terrestre. C’est LE combustible de base de toutes les centrales nucléaires du monde.

Comment fonctionne une centrale nucléaire ?

Voici les points essentiels à avoir en tête pour comprendre les grands principes du fonctionnement d’une centrale nucléaire. Je ne parlerai que des réacteurs français, les REP (Réacteurs à Eau Pressurisée) : déjà que c’est compliqué de tout faire rentrer dans un seul article, si je pars sur tous les types de réacteurs dans le monde on est pas arrivés ;-)

Une « centrale nucléaire  » est un site industriel sur lequel on trouve des « tranches » : une tranche est une entité autonome, comprenant un réacteur nucléaire avec tout les équipements nécessaires à son fonctionnement et à la production d’électricité. Chaque tranche peut fonctionner seule, indépendamment des autres. Dans toutes les centrales nucléaires françaises actuellement en exploitation, il y a au moins 2 tranches (i.e. au moins 2 réacteurs).

Les centrales nucléaires françaises avec le détail du nombre de réacteurs – ou « tranches » – par centrale

Commençons par le combustible nucléaire : l’uranium (sous forme d’oxyde d’uranium, en fait, mais peu importe) est conditionné en pastilles de quelques grammes, cylindriques d’environ 1 cm de hauteur et de diamètre. Contrairement aux idées reçues, ces pastilles sont très peu radioactives, on peut les manipuler sans précautions particulières.

Pastilles d’uranium avant assemblage

Les pastilles sont empilées dans des longues gaines métalliques étanches d’environ 4 mètres de haut (appelées « crayons »), elles mêmes rassemblées dans des « assemblages ».
Ces gaines étanches sont la première des trois barrières de protection entre le combustible et l’environnement externe.

Il faut charger environ 150 assemblages identiques dans la cuve d’un réacteur nucléaire pour qu’il puisse fonctionner et délivrer la puissance prévue (environ 1000 mégawatts : 1000 millions de watts).

Par rapport au schéma de fonctionnement général des centrales électriques, il y a un circuit en plus dans les centrales nucléaires, entre la source de chaleur (le réacteur) et la « chaudière » (appelée générateur de vapeur dans les centrales nucléaires) : c’est le circuit primaire.

En fonctionnement, la cuve du réacteur contenant les assemblages d’uranium est parcourue par de l’eau : c’est le circuit primaire (orange sur le schéma ci-dessus). Étanche et maintenu sous pression (d’où le nom de Réacteur à Eau Pressurisée, « REP ») par un pressuriseur pour que l’eau reste liquide et ne se vaporise pas, ce circuit est la deuxième des trois barrières entre le combustible et l’environnement extérieur.
L’eau du circuit primaire tourne en circuit fermé : après avoir été réchauffée par le combustible dans la cuve, elle va donner sa chaleur à l’eau du circuit secondaire (gris et bleu) avant de retourner dans la cuve. Ce transfert de chaleur s’effectue dans un « générateur de vapeur » (il y en a en fait 3 ou 4 par réacteur) , sans qu’il n’y ait communication entre les deux circuits d’eau. L’eau chauffée du circuit secondaire – en bleu sur le schéma – se transforme en vapeur – en gris sur le schéma – à cause de la chaleur : cela est possible car ce circuit est beaucoup moins sous pression que le circuit primaire. Ensuite vous vous souvenez du principe de fonctionnement expliqué au début de l’article : la vapeur actionne une turbine…. alternateur… production d’électricité !
Après avoir actionné la turbine, la vapeur est refroidie dans un condenseur et ainsi re-transformée en eau. Ce refroidissement, dans le condenseur, est obtenu par un échange de chaleur avec un troisième circuit d’eau froide (vert), là aussi sans communication entre les circuits. Ce troisième circuit est de l’eau prélevée froide dans un fleuve ou en mer, puis rendue tiédie à la rivière ou la mer.
A noter que si le débit moyen du fleuve est insuffisant, on aura construit une tour de refroidissement, dans laquelle passe ce circuit pour diminuer la température de l’eau avant de la rejeter, pour ne pas qu’elle soit trop chaude ce qui serait nuisible à l’environnement. Cette dernière caractéristique n’est pas propre aux centrales nucléaire : une centrale a charbon peut aussi avoir une tour de refroidissement pour la même raison. Ainsi, qui dit tour de refroidissement ne dit pas nécessairement centrale nucléaire !

Le circuit primaire est entièrement situé dans le « bâtiment réacteur », étanche et construit en béton armé de plus d’1m d’épaisseur, doublé d’acier, qui constitue la troisième et dernière barrière entre le combustible et l’environnement externe.

Notons au passage une caractéristique essentielle du fonctionnement d’une centrale nucléaire : elle n’émet pas de CO2 lors de son fonctionnement. En effet la fission de l’uranium n’est pas une combustion d’un hydrocarbure !
En fonctionnement, une centrale rejette(5) :
– de l’eau tiédie dans le fleuve (ou la mer) situé(e) nécessairement à proximité,
– de l’eau liquide (gouttelettes sous forme de nuage) et de l’eau sous forme de vapeur dans l’atmosphère via la tour de refroidissement (s’il y en a une).

Et pour ceux qui se posent la question :
non les tours de refroidissement ne réchauffent pas l’atmosphère : la quantité de chaleur rejetée est infinitésimale par rapport au volume de l’atmosphère
– oui la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre… mais, non, les, panaches des tours de refroidissement des centrales (nucléaires ou pas nucléaires) ne contribue pas au réchauffement climatique car tout excès de vapeur d’eau atmosphérique se retransforme immédiatement en précipitations et en eau dans les océans : il y a un équilibre permanent entre la vapeur d’eau de l’atmosphère et l’eau liquide des océans.

Je le répète et je le mets en gras car c’est une idée fausse : NON les centrales nucléaires ne contribuent pas au réchauffement climatique. Non(6). Au contraire, l’électricité produites par les centrales nucléaires est décarbonée.
J’insiste lourdement sur ce point à cause de ce sondage IPSOS :

Extrait d’un étude sociologique réalisée par IPSOS pour le compte d’EDF depuis 2012 chaque année

Cette étude montre que de plus en plus de personnes pensent que les centrales nucléaires contribuent « beaucoup » au réchauffement climatique ce qui est totalement faux… Sur ce sujet, lire cet article de Sylvestre Huet (Le Monde) sur son blog {Sciences²}.

Le nucléaire, c’est dangereux ?

Commençons avant toute chose par rejeter une idée fausse (une autre) :
une centrale nucléaire ne peut pas exploser comme le ferait une bombe nucléaire. C’est matériellement, physiquement, rigoureusement impossible.
En effet, une bombe nucléaire est constituée d’une masse dite « critique » d’uranium 235 (ou de plutonium 239) ultra-pur, séparée en deux parties que l’on rassemble d’un coup pour provoquer l’explosion. Or, l’uranium d’une centrale nucléaire est :
– séparé en millions de pastilles distinctes et réparties dans les gaines et les assemblages,
– surtout très, très loin du degré de pureté nécessaire(7).
Donc non, une centrale nucléaire ne peut absolument pas devenir une bombe nucléaire.

Ceci étant, la réponse à la question de ce paragraphe est que oui, bien sûr, utiliser l’énergie nucléaire est dangereux. Comme de nombreuses autres substances naturelle (amiante, métaux lourds, monoxyde de carbone, etc…) ou artificielles (benzène, formaldéhydes, composés organiques volatiles, polluants organiques persistants, phtalates, retardateurs de flamme, etc…), les substances radioactives sont des matières dangereuses.
A des doses suffisantes, les matières radioactives peuvent nuire à la santé des êtres humains ou avoir des effets négatifs sur l’environnement et les animaux. C’est la définition même d’une matière dangereuse. Pour les humains elles entraînent à partir d’une certaine dose une augmentation du risque de cancer, voire des maladies, brûlures et conséquences gravissimes à des doses plus élevées, puis mortelles en cas de dose très importante (lire ci-dessus). En cas de dissémination dans l’environnement, les êtres vivants sont affectés comme l’être humain, à des degrés variables en fonction des espèces et croissant en fonction des doses.

Il faut noter une particularité des substances radioactives que n’ont pas les autres matières dangereuses : leur dangerosité diminue avec le temps, plus ou moins vite en fonction du type d’atome considéré. Pour qualifier cette décroissance de la radioactivité, on utilise la notion de « demi-vie » : c’est la durée au bout de laquelle la radioactivité d’une substance a diminué de moitié. Voici quelques demi-vies de différentes sortes d’atomes radioactifs :
– iode 131 : 8 jours
– cobalt 60 : 5 ans
– radium 226 : 1 600 ans
– plutonium 239 : 24 000 ans.
Ainsi, pour certaines substances il suffit d’attendre quelques semaines pour que la radioactivité ait disparu. Pour d’autres quelques années et pour d’autres encore quelques milliers, voire des dizaines de milliers d’années pour le plutonium.

Oui, un réacteur nucléaire fabrique des substances radioactives qui sont dangereuses, c’est un fait. Cela nécessite de prendre des mesures importantes pour s’en protéger et en protéger l’environnement.

Le nucléaire c’est risqué ?

Commençons pas clarifier la différence entre « danger » et « risque », ce n’est pas la même chose :
– un danger est ce qui peut causer un dommage,
– un risque est la probabilité de subir ce dommage à cause de l’exposition au danger.
Vous voyez la différence ? Prenons l’exemple du feu : c’est un danger car il peut causer des brûlures, légères, graves ou mortelles. Si vous n’y êtes pas exposé, alors il n’y a pas de risque. Mais si vous y êtes exposé, alors il y a un risque, dont la probabilité dépend de l’ampleur, de la durée, de la fréquence de l’exposition :
– si vous passez très rapidement le doigt dans la flamme d’une bougie : vous ne subirez normalement aucun dommage : le risque est faible.
– si vous prenez à la main des bûches bien enflammées dans votre cheminées pour arranger votre feu, il est possible que vous vous brûliez : le risque est nettement plus important
– si vous vous loupez en voulant suivre la tradition du saut au dessus du feu de la Saint-Jean et que vous atterrissez au milieu des flammes, alors des brûlures graves, ou pire, sont à la clé : le risque de dommages est très fort.
L’enjeu pour nous, les être humains, face aux dangers multiples de notre environnement, est de maîtriser les risques par différents moyens en diminuant la probabilité d’exposition : ne pas s’approcher du feu, l’enfermer dans un poêle, porter des vêtements ignifugés, l’éteindre s’il y a un incendie, etc…

De nombreuses substances sont dangereuses et certaines sont à l’origine d’accidents gravissimes : le nitrate d’ammonium (explosions AZF-Toulouse, Beyrouth), l’isocyanate de méthyle (catastrophe de Bhopal en Inde), le « 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine » (catastrophe de Seveso en Italie).
Les barrages hydrauliques sont dangereux. L’orage est dangereux. Une raffinerie est dangereuse. Certains animaux sont dangereux. Certaines plantes sont dangereuses. Les volcans sont dangereux. Les séismes sont dangereux, etc, etc… Vous avez compris.

Appliquons cela au nucléaire :
– les substances nucléaires sont un danger, oui, c’est un fait.
– exploiter des centrales nucléaires présente-t-il des risques ? Et bien ça dépend : si on ne s’en protège pas suffisamment alors oui, mais si on applique des mesures suffisantes pour avoir l’assurance de ne pas y être exposés, nous ou l’environnement, alors non.
Et bien qu’en est-il ?

Soyons clair tout de suite : le risque zéro n’existe pas. Jamais. Nulle part. Toutes les activités humaines ont leur part de risque : prendre l’avion, faire fonctionner une raffinerie ou une usine chimique, rouler en voiture, creuser une mine pour extraire des matériaux, être enceinte, envoyer des hommes dans l’espace, construire un barrage hydraulique, manger de la viande rouge au barbecue, stocker du nitrate d’ammonium, déguster du fugu, exploiter une centrale électrique au charbon…. etc… etc… Toutes ces activités comportent des risques et font de nombreux morts tous les ans.
Exploiter l’énergie nucléaire ne fait pas exception : le risque de dommage à l’homme et/ou l’environnement n’est pas nul même s’il est extrêmement faible(8).

Mais peut-on considérer que l’exploitation de l’énergie nucléaire est trop risquée pour l’Humanité ?
Ou a contrario, peut-on considérer que le risque est suffisamment maîtrisé, au regard de l’enjeu du besoin de l’Humanité de disposer de sources d’énergie décarbonées ??
Je vous invite à poursuivre la lecture pour vous faire votre idée sur cette question.

L’accident nucléaire : possible ?

Dans l’histoire du nucléaire civil, il y eu deux accidents majeurs : Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011.
(je laisse de côté Three Mile Island en 1979 qui n’a fait aucune victime et engendré très peu de rejets dans l’environnement).

L’accident de Tchernobyl

L’explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl est classé au 7e et dernier rang de l’échelle de gravité des incidents et accidents nucléaires.

Utilisée au plan international depuis 1991, l’échelle INES (International Nuclear Event Scale) comporte 8 niveaux

Il a conduit à l’explosion du cœur du réacteur qui, éventré et exposé à l’air libre, a déversé dans l’atmosphère d’importantes quantités de radionucléides, pendant une dizaine de jours. Le fameux « nuages de Tchernobyl » a survolé une grande partie de l’Europe y compris la France. Il ne s’est bien sûr pas arrêté à la frontière (mais il est faux de dire que l’état Français aurait menti à ce sujet : lire à ce propos ce très bon article de Libération). Il a conduit a disséminer des matières radioactives dans de nombreuses régions européennes, y compris en France, sans conséquences sanitaires mesurables (9) sauf pour les régions autour de la centrale.
Une zone de 2800 km2 (cercle de 30km de rayon centré sur la centrale) est toujours classée inhabitable à ce jour car considérée comme encore trop contaminée.

Le nombre de morts causé par l’accident de Tchernobyl est très délicat à évaluer : les évaluations vont de quelques dizaines de personnes décédées jusqu’à un million de morts, en fonction des sources.
Il est possible que l’on ne le sache jamais vraiment car il est extrêmement complexe de faire le lien entre un décès par cancer, et son origine : le cancer est-il causé par l’accident ou par une cause naturelle ? Il n’est jamais possible de l’affirmer de manière certaine. Ce qui semble relativement fiable c’est :
– le nb de morts d’irradiation aigüe causées directement par l’accident (pompiers, liquidateurs) : 50 personnes environ
– le nb de cancers de la thyroïde attribué à l’accident parmi la population ukrainienne : 6000 cancers (mais toutes les personnes atteintes – surtout des enfants – ne sont pas décédées, loin de là).
[lire à ce sujet le rapport de l’UNSCEAR de 2008. L’UNSCEAR est une agence des nations unies qui depuis 1955 a pour mission d' »évaluer les niveaux et les effets de la radioexposition »]

Dans tous les cas, quelque soit la façon de voir les choses, l’accident de Tchernobyl est une tragédie qui a fait vraisemblablement plusieurs milliers de morts et rendu inhabitable pour les humains pendant des décennies une zone de 30 km de rayon (qui est étonnamment aujourd’hui un réservoir de biodiversité : beaucoup d’espèces animales et végétales y vivent et s’y sont adaptées) .

Les causes de l’accident sont connues (je conseille l’excellente série Chernobyl, très réaliste, pour ceux qui veulent les comprendre dans les détails) : sous la pression bureaucratique, les opérateurs de la centrale ont été conduits à désactiver les systèmes de sécurité pour réaliser, sous la contrainte, une séries d’opérations qu’ils savaient dangereuses. Ajoutez à cela le fait que les réacteurs russes de Tchernobyl, de type « RBMK », ont un défaut de conception(10) connu des autorités – mais non communiqué aux opérateurs – et vous avez la conjonction de facteurs qui ont conduit à la catastrophe.

L’accident de Fukushima

L’évènement qui s’est produit au Japon le 11 mars 2011 à 14h46 heure locale est d’abord un séisme, le plus violent de toute l’histoire du Japon et un des plus violents connus à la surface de la Terre. De magnitude 9,1 (le maximum connu est 9,5 au Chili en 1960), le séisme de Tohoku – du nom de la région japonaise qui a été touchée – s’est produit à environ 130 km en mer à l’est de la ville de Sendaï. Il a provoqué un tsunami qui, un peu moins d’une heure après, a ravagé plus de 600 km de la côte est du Japon avec une vague atteignant 30 mètres par endroits.
Le bilan est tragique et s’élève à près de 19 000 morts, principalement dus au tsunami et très peu au séisme lui-même.

La centrale nucléaire de Fukusima Daïchi située sur la côte à une centaine de km au sud de Sendaï, n’a pas directement souffert du séisme : quelques secondes après que les capteurs l’aient détecté, la centrale s’est arrêtée et mise en sécurité automatiquement et n’a souffert que de peu de dégâts, bien qu’ayant été privée d’alimentation électrique externe par le séisme.
L’accident nucléaire s’est produit un peu plus tard, après que la centrale ait été frappée par la vague du tsunami, d’une hauteur de 15 mètres à cet endroit de la côte.

Le tsunami a envahi la centrale et noyé les groupes électrogènes de secours qui alimentaient la centrale en électricité (après que le séisme ait entraîné la perte de l’alimentation électrique principale). De ce fait, les 4 réacteurs se retrouvent totalement privés d’électricité (plus d’alimentation : ni interne ni externe) et, du coup, sans aucun moyen de refroidir par circulation d’eau – impossible sans pompes électriques – le cœur des réacteurs et les piscines de combustible usé. Or ceux-ci produisent en permanence un peu de chaleur qui doit absolument être évacuée sinon :
– elle s’accumule progressivement,
– la température monte, monte,
– le cœur radioactif commence à fondre,
– la fusion du cœur induit des réactions chimiques produisant de l’hydrogène,
– l’hydrogène s’accumule et finit par exploser, détruisant le toit du réacteur et une partie des installations,
– des gaz radioactifs s’échappent dans l’atmosphère et les retombées contaminent les régions alentour.

C’est cela qui s’est passé à Fukushima, sur plusieurs réacteurs. Cet accident a été classé lui aussi au 7e niveau de gravité, le plus élevé, même si contrairement à Tchernobyl le combustible n’a pas été exposé à l’air libre. Lors de cet accident, les rejets radioactifs dans l’atmosphère ont eu lieu de manière discontinue pendant environ deux semaines.

En termes de bilan humain lié à l’accident nucléaire, on déplore parmi les travailleurs de la centrale, selon les données officielles :
– un mort et cinq malades qui ont été associés aux rayonnements,
– 10 morts ne sont pas associées aux rayonnements
– 16 blessés en raison des explosions.

Dans la population, cela va peut-être vous surprendre mais aujourd’hui on ne déplore, heureusement, aucun décès et aucune conséquence sanitaire dans la population, due aux effets de la radioactivité. Il subsiste un doute sur une éventuelle petite augmentation des cas de cancers de la thyroïde mais cela est controversé donc aucune certitude sur ce point.

Par contre on estime à environ 2200 les décès liés plus ou moins directement aux évacuations (zone des 20 km autour de la centrale puis quelques autres zones d’évacuation ciblées complémentaires) : personnes fragilisées, personnes évacuées issus de maisons de retraites ou d’hôpitaux, suicides.
[Vous pouvez lire à ce sujet le rapport de l’UNSCEAR de 2014]

A ce jour, il reste une zone de 370 km² (surface équivalente à une cercle de 11km de rayon) où la réinstallation de la population reste encore officiellement interdite (source ici sur le site de l’IRSN).
A noter que l’accident a aussi contraint les exploitants de la centrale à rejeter à la mer de l’eau contenant des radionucléides, mais la dilution rapide dans l’océan n’a pas entraîné de conséquences environnementales.

La cause de l’accident de Fukushima est bien sûr le tsunami, faisant suite au très puissant séisme (magnitude supérieure à 9). Mais il faut ajouter à cela le fait que l’exploitant TEPCO a reconnu avoir volontairement sous-estimé le risque de tsunami pour éviter d’avoir à arrêter la centrale et réaliser les travaux nécessaires de mise en sécurité (lire ici)… Plusieurs années avant l’accident, le fait que les groupes électrogènes de secours étaient situés trop bas et pouvaient être noyés en cas de tsunami avait été pointé, sans que TEPCO n’en tienne compte…

Un futur accident « certain » en France ?

Certaines voix se font entendre pour dire qu’il est « statistiquement certain » qu’un accident majeur va se produire en France, le « pays du nucléaire ». Surtout après Fukushima : que les Russes avec leur bureaucratie et leur ancienne technologie de réacteur ait eu un accident, passe encore, mais que le Japon, nation « avancée », ait eu aussi un accident majeur montre bien que nous ne sommes pas à l’abri nous non plus, n’est-ce pas ?

Première chose à savoir : les technologies de réacteur en cause sont différentes. Les RBMK (réacteur au graphite) russes et les REB (réacteurs à eau bouillante) japonais sont différents des REP (réacteurs à eau pressurisée) utilisés en France. Par exemple, les RBMK n’ont pas d’enceinte de confinement. Ou encore, les REB n’ont que deux circuits et non trois. Pour approfondir si vous le souhaitez, lire ici sur le site de la SFEN un descriptif & comparatif des technologies de réacteurs.
De ce fait, un accident à l’identique de Tchernobyl ou de Fukushima n’est pas possible en France.

Ensuite, il faut avoir en tête qu’un réacteur nucléaire n’est pas un « truc instable prêt à exploser au moindre évènement imprévu », contrairement à ce que l’expression réaction en chaîne (cf plus haut le paragraphe sur la fission) peut laisser penser du fait de sa connotation « évènement incontrôlable ».
Chaque réacteur est en effet muni d’un dispositif de barres de contrôle permettant de piloter finement la réaction de fission, en montant ou descendant ces barres constituées d’un matériau absorbeur de neutrons :

Les barres de contrôle sont aussi un dispositif d’arrêt d’urgence de la réaction : elles sont suspendues à des électro-aimants qui permettent de les lâcher et de les laisser tomber dans le réacteur pour arrêter totalement le réacteur en 5 secondes si nécessaire. Cette chute des barres peut être déclenchée :
– soit manuellement depuis la salle de commande,
– soit automatiquement, via les capteurs qui surveillent le réacteur et qui ont pour rôle de réagir dès qu’un paramètre ou un évènement sort de la normale,
– soit, au pire, en cas de perte de l’alimentation électrique (coupure des électro-aimants).

Pour aller jusqu’à ce qu’un accident majeur se produise (hors cataclysme externe : séisme, tsunami, inondation, dont nous parlerons plus loin), il faut imaginer un enchaînement de défaillances et de circonstances défavorables successives. Lesquelles ? Depuis des décennies l’exploitant EDF et les autorités de sûreté étudient la question, imaginent les scénarios possibles et conçoivent ou modifient les centrales en conséquence. En suivant une double règle :
– tout faire pour éviter un accident,
et en même temps imaginer qu’il puisse se produire pour en minimiser les conséquences.

Le scénario d’accident principal qui est redouté est celui d’un perte durable du refroidissement du cœur, qui finirait par conduire à une fusion de celui-ci du fait de l’accumulation de la petite quantité de chaleur résiduelle qu’il continue à produire même arrêté. Voilà ce qui pourrait se passer.

  • Un réacteur a besoin d’un peu d’électricité pour fonctionner. En effet, il faut alimenter les pompes et tous les systèmes électriques qu’il comporte.
    Chaque réacteur dispose de deux alimentations électriques externes distinctes, une principale et une auxiliaire. Dans l’hypothèse d’une perte des deux alimentations électriques externes, un réacteur peut s’alimenter lui-même. On appelle cela l’ « ilotage », que l’on obtient en baissant la puissance pour produire juste l’électricité nécessaire.
  • S’il s’avère que l’ilotage n’est pas possible ou ne fonctionne pas, chaque réacteur comporte deux groupes électrogènes diesel distincts ; chacun d’eux peut, seul, alimenter le réacteur. Si le premier ne fonctionne pas, on utilise le deuxième.
  • Si le deuxième diesel ne fonctionne pas, on utilise un groupe de secours (soit un groupe électrogène du réacteur de la tranche d’à côté – car toutes les centrales nucléaires en fonctionnement en France ont au moins deux tranches – soit la turbine à combustion de la centrale s’il y en a une)
  • Si le groupe de secours ne fonctionne pas ou n’est pas disponible, les réacteurs français sont désormais équipés – pas encore tous, mais c’est en cours – de diesels d’ultime secours (DUS), situés en hauteur afin d’être protégés des inondations, pour prendre le relais et assurer l’alimentation électrique.
  • Enfin, dans le cas ultime ou même le DUS ne fonctionne pas, EDF s’est doté d’une FARN (Force d’Action Rapide du Nucléaire) mobilisable en moins de 24h n’importe où en France, capable d’acheminer – entre autres – des moyens externes de production électrique (groupes électrogènes), y compris en conditions extrêmes par exemple après un séisme ou une inondation qui aurait endommagé l’infrastructure routière.

Je résume :
– si l’alimentation électrique principale est perdue,
– et si l’alimentation électrique auxiliaire est perdue,
– et si l’ilotage n’est pas possible,
– et si le premier groupe électrogène ne fonctionne pas,
– et si le deuxième groupe électrogène ne fonctionne pas non plus,
– et si le groupe de secours ne fonctionne pas,
– et si le diesel d’ultime secours ne fonctionne pas,
– et s’il n’est pas possible d’obtenir de l’aide extérieure (FARN ou autre),
alors la situation est problématique et il est possible que l’on arrive in fine à une fusion du cœur et des rejets radioactifs dans l’environnement (lire cet article de blog d’un ingénieur d’études en sureté nucléaire pour une description de la suite du scénario).

Cette liste de « et si » est je pense la meilleure réponse que l’on puisse faire à la question : quelle est la probabilité qu’un accident nucléaire majeur se produise en France ? Réponse : très, très faible.
Pas rigoureusement nulle, car le risque zéro n’existe pas, mais vraiment faible.

Séismes, tsunamis & inondations : quels sont les risques ?

Séismes

Si on la compare à des pays tels que l’Italie ou la Grèce, ou à plus fortes raisons à d’autres régions du monde notamment le Japon, la France métropolitaine est une région à sismicité faible à modérée.

Carte de la sismicité mondiale pour la période 1904-2014 et pour les séismes de magnitude supérieure à 5,5

Bonus : Pour visualiser en 3D et en vidéo la répartition des séismes dans le monde dont cette carte est une représentation, vous pouvez (re)voir la vidéo présentée dans mon article une année de tremblements de Terre.

Pour toute installation industrielle, quelle qu’elle soit, un séisme est une agression d’origine externe que subit l’installation. Il provoque des mouvements et des vibrations dans les bâtiments et les installations, qui peuvent être endommagés s’ils ne sont pas conçus pour cela. Cela est particulièrement critique pour une centrale nucléaire, pour laquelle il est bien sûr primordial qu’aucun séisme ne puisse l’endommager.
Les centrales nucléaires sont donc des « constructions parasismiques », conçues et dimensionnées pour résister aux séismes qui peuvent survenir là où elles sont implantées. Comment procède-t-on pour concevoir ce dimensionnement ?
Les études de conception prennent en compte la sismicité de la région d’implantation, en prenant pour base le « séisme maximum historiquement vraisemblable » (SMHV), le plus violent ressenti dans une zone autour d’un site depuis 1 000 ans.
Sur ce séisme, les ingénieurs appliquent une marge de sécurité (+0,5 sur la magnitude ce qui correspond à une multiplication par 5 de l’énergie du séisme car l’échelle des magnitudes est logarithmique(11)) pour définir ce qu’on appelle le « séisme majoré de sécurité » (SMS)
Les centrales sont dimensionnées pour pouvoir résister sans dommages à un SMS qui se produirait pile sur l’emplacement de la centrale.

Certaines centrales nucléaires françaises ont déjà eu à subir – sans dommages – des séismes. Par exemple, le séisme du Teil du 11 novembre 2019, un des plus forts séismes enregistrés sur les centrales nucléaires françaises, s’est produit à une dizaine de kilomètres de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse (Ardèche) et à une trentaine de kilomètres du site du Tricastin (Drôme). Notez que contrairement aux informations relayées par certains médias en 2019, la magnitude de ce séisme n’a pas dépassé les valeurs du SMHV prévues lors de la conception des centrales concernées. Après avoir décidé l’arrêt de la centrale de Cruas – la plus proche du séisme – pour vérifications approfondies, il a été confirmé qu’il n’a entraîné aucun dommage (lire à ce sujet cet article sur le site de l’ASN).
L’analyse des enseignements à tirer de ce séisme se poursuit encore à ce jour. En effet, la stratégie retenue en France est de toujours remettre en question les savoirs et les hypothèses précédemment faites pour sans cesse rechercher si des améliorations peuvent être apportées dans le sens de plus de sûreté. Le cas échéant l’ASN impose à l’exploitant EDF les travaux nécessaires. Par exemple l’installation des Diesel d’Ultime Secours (DUS) sur le toit des bâtiments dans les centrales française (cf paragraphe sur les accidents) est une leçon tirée de l’accident de Fukushima.
La culture de la sûreté nucléaire en France est fortement ancrée et l’organisation mise en place, avec une indépendance de l’ASN et de l’IRSN vis à vis des industriels du nucléaire et de l’exploitant des centrales, est un levier efficace pour faire constamment progresser la sûreté.

En conclusion sur le risque lié aux séismes : il est maîtrisé. Les centrales sont conçues pour résister aux séismes qui peuvent se produire en France, avec des marges de sécurité importantes.
En ce qui me concerne, si on me donnait le choix de vivre un séisme dans ma maison ou dans une centrale nucléaire, je choisis la centrale sans hésiter : c’est du béton et de l’acier et elle est conçue pour y résister !


Tsunamis

Comme nous l’avons vu plus haut, une centrale nucléaire nécessite une source d’eau froide pour fonctionner. Toutes les centrales sont donc soit proche d’une rivière (ou fleuve), soit proche du bord de mer, avec le risque d’inondation potentielle que cela comporte.

En France métropolitaine, le risque de tsunami se situe principalement sur le côte méditerranéenne (cf carte ci-dessous), du fait du risque sismique dans la région du Maghreb. Des vagues jusqu’à 4 mètres pourraient survenir en cas de séisme important. Il n’existe toutefois pas de centrale nucléaire française sur les bords de la Méditerranée.

Risque de tsunami en France métropolitaine (source)

La côte atlantique pourrait également être touchée, de manière moindre, en cas de tsunami qui proviendrait des Caraïbes, mais il n’y a pas de centrales nucléaires française sur cette côte.

Reste la Manche, au bord de laquelle se trouve plusieurs centrales nucléaires. Toutefois, du fait de la faible profondeur de de l’eau en Manche, le risque de tsunami est fortement atténué. Dans tous les cas ce risque est sans commune mesure avec celui du Japon, dont la côte Est est proche et parallèle à la faille tectonique à l’origine des violents séismes qui se produisent là-bas, dont celui de Tohoku ayant affecté Fukushima.

Le risque lié aux impacts d’un éventuel tsunami en France sur une centrale nucléaire est extrêmement faible.

En dehors du nucléaire, il y aurait par contre des impacts potentiellement très important sur la population et les installations côtières (ports, bâtiments, maisons,…) de la côte d’Azur si un tsunami avec des vagues de 4m venait à se produire en Méditerranée… Le sujet est surtout là et je ne suis pas sûr que ce risque soit bien pris en compte localement.

Inondations

La problématique des inondations est importante à prendre en compte, notamment dans le contexte du réchauffement climatique. En effet celui-ci aura pour effet :
1) d’augmenter le niveau des mers : déjà plus de 20 cm de hausse constatée et en cible d’ici la fin du siècle possiblement 1 mètre de hausse.
2) d’augmenter l’humidité de l’air et donc les précipitations (lire mon précédent article sur ce sujet). Cette augmentation ne sera pas uniforme : globalement les régions sèches s’assècheront encore plus et les régions humides le deviendront encore plus. En France cela pourrait possiblement se traduire :
– au nord par des cumuls annuels de précipitations plus importants,
– au sud par une baisse des cumuls annuels (assèchement) mais, de manière contre-intuitive, aussi par des précipitations plus violentes et intenses comme par exemple celles déjà constatées lors des épisodes méditerranéens, dont le dernier est hélas encore frais dans les mémoires : il a touché les Alpes Maritimes les 2 et 3 octobre dernier, (re)lisez à ce propos mon article à ce sujet.

L’ASN n’a pas attendu que j’en parle pour ce préoccuper de cette question (je blague !) : elle a publié en 2013 une série de nouvelles recommandations plus strictes relatives à la protection contre les inondations (guide de l’ASN n°13) applicables aux « installations nucléaires de base » (INB) que sont les centrales nucléaires. Ces recommandations sont actuellement en cours de mise en œuvre par l’exploitant EDF.

Cette publication est la conclusion du long travail d’expertise qui a été réalisé suite à l’inondation partielle qui s’est produit à la centrale nucléaire du Blayais, sur la Gironde, le 27 décembre 1999, lors du passage des tempêtes Lothar et Martin (incident classé 2 sur l’échelle à 7 niveaux de l’INES).
Que s’est il passé ce soir là ? La conjonction d’un niveau d’eau élevé dans l’estuaire de la Gironde avec une forte houle due à des vents extrêmement violents a conduit à ce que des vagues passent par dessus les digues de la centrale, inondant une partie des installations.
Deux des quatre pompes d’un circuit de sécurité de la centrale (circuit dit « SEC », différent des trois circuits mentionnés dans le paragraphe ci-dessus sur le fonctionnement des centrales. Mais je ne rentrerai pas plus dans les détails des différents circuits d’une centrale sinon on n’est pas couchés…) ont été noyées ainsi que certaines autres pompes électrique, tout cela dans un contexte où la centrale a subit des coupures de l’alimentation électrique extérieure à cause de la tempête.
Si on rapproche cela de la liste des « et si » dans le paragraphe sur le risque d’accident, cela revient à dire que plusieurs « si » se sont réalisés (plusieurs lignes de défense enfoncées), mais pas tous loin de là (les autres lignes de défense ont joué leur rôle) ce qui fait que l’incident n’est pas allé plus loin : les réacteurs, arrêtés dès le début de l’épisode, ont continué à être normalement refroidis grâce aux groupes électrogènes diesel.

Centrale nucléaire du Blayais

J’en profite pour parler du concept de « défense en profondeur » qui est le grand principe retenu pour assurer la sureté des centrales nucléaires françaises. L’idée est d’additionner les lignes de défense successives, de sorte que si une défense tombe, alors il y en a une autre derrière, et puis encore une autre, etc…

Exemple des lignes de défense successives pour éviter le contact entre les matières radioactives et l’environnement (cf paragraphe sur le fonctionnement des centrales) :
– première ligne = la gaine étanche du crayon entourant les pastilles d’uranium,
– deuxième ligne = le circuit primaire étanche contenant l’eau qui circule autour des gaines,
– troisième ligne = l’enceinte de confinement étanche contenant entièrement le circuit primaire.

Citadelle de Neuf-Brisach, par Vauban, exemple de défense en profondeur (source Wikipédia)

Ce concept de « défense en profondeur » est hérité des techniques militaires (les multiples murailles des forteresses Vauban étaient déjà de la défense en profondeur). Il est utilisé aussi dans le domaine de la sécurité informatique.

Pour finir sur les inondations, c’est un risque qui est pris très au sérieux par l’ASN et par l’exploitant EDF ; en application des nouvelles règles édictées en 2013, une série de travaux sont actuellement réalisés sur les centrales pour assurer qu’il restera maîtrisé et que les centrales resterons sûres malgré les aléas dus au réchauffement climatique (lire par exemple ici sur le site de l’IRSN les travaux réalisés à la centrale du Blayais).

Quid du vieillissement des centrales ?

Dans le cadre de tous les débats qui ont eu lieu autour de la fermeture récente de la centrale de Fessenheim, vous l’avez sûrement entendu : « Les centrales nucléaires ont une durée de vie de 40 ans, au delà elles sont trop vieilles et dangereuses et il faut les fermer ».
Et bien c’est faux. Il n’existe pas de durée limite fixée à l’avance au delà de laquelle une centrale serait en fin de vie.

Cette durée de 40 ans existe bel et bien mais c’est une durée administrative et financière, pas une limite technique. Lorsqu’on construit une centrale nucléaire, compte tenu du coût élevé de construction, l’exploitant (EDF, en France) effectue des calculs de rentabilité financière pour que l’opération soit bien évidemment viable financièrement. Et compte tenu de la quantité d’électricité produite par la centrale et qui sera vendue aux clients, l’entreprise table sur un fonctionnement d’au moins 40 ans.
Par ailleurs, d’un point de vue comptable, les principaux composants de la centrales sont amortis sur 40 ans (voire 50).
Enfin, cette durée est aussi celle de la licence d’utilisation de la technologie des réacteurs qui a été achetée à une entreprise américaine, Westinghouse (et oui les réacteurs français REP sont au départ une technologie américaine…). En effet, en 1974, EDF a conclu un contrat de licence avec l’entreprise Westinghouse et cet accord commercial était au départ valable 40 ans. Par la suite, EDF a totalement racheté la licence de manière à se libérer de cette durée maximale commerciale.

D’un point de vue technique, les éléments à considérer sont tout autres. Il faut savoir que toutes les installations industrielles, sans exception, que ce soit une raffinerie, une usine électrique, un barrage hydro-électrique, une usine chimique, une usine d’embouteillage, de construction de voiture, un haut-fourneau, etc… sont logées à la même enseigne : à partir du jour où elles entrent en service, elles s’usent et vieillissent avec le temps qui passe. Pas moyen de faire autrement car ce sont les lois de la physique qui régissent notre monde et qui imposent que toutes les « machines » du monde (prendre le mot machine dans son sens le plus large : une usine est une machine) ne peuvent pas durer éternellement. Elles s’usent, c’est inexorable.
Du coup comment fait on pour gérer cela ? Et bien dans toutes les installations industrielles du monde c’est pareil : on surveille, on contrôle les différents composants et, quand cela devient nécessaire, on change et/ou on répare les composants. Comme ce que vous faites avec votre voiture pour la faire durer.

Et dans une centrale nucléaire, idem : on change régulièrement les différents composants et on les remplace par des neufs, soit identiques soit améliorés. Cela est vrai depuis le moindre petit bout de câble ou de tuyau, jusqu’àux générateurs de vapeurs ou à l’alternateur entier, en passant par les capteurs, les systèmes électriques, les systèmes électroniques,… A deux exceptions près (lire ci-dessous), tout peut se changer. C’est ainsi que les centrales sont maintenues en bon état de fonctionnement, et peuvent l’être bien au delà de 40 ans.

En France la réglementation impose que l’état des centrales nucléaires soit contrôlé par une autorité administrative indépendante de l’exploitant. C’est l’Autorité de Sécurité Nucléaire (ASN) qui joue ce rôle, en s’appuyant sur l’expertise technique d’une autre entité indépendante, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN).
L’ASN a tout pouvoir pour imposer à l’exploitant de fermer un réacteur, ou imposer des travaux de maintenance même très coûteux si cela est nécessaire à la sûreté de fonctionnement. Et elle ne s’en prive pas.
Tous les 10 ans, l’ASN contrôle chaque réacteur et donne, ou pas, l’autorisation de continuer 10 ans de plus. Et le contrôle aux 40 ans n’est pas différent des autres contrôles décennaux : si la centrale est dans un état de fonctionnement qui satisfaisait les critères de l’ASN (il y en a beaucoup et ils sont sévères, la réputation de l’ASN dans le monde n’est plus à faire) alors elle peut continuer son exploitation. C’était d’ailleurs le cas de Fessenheim : l’avis de l’ASN était que cette centrale était dans un parfait état de fonctionnement malgré ses 40 ans.

Dans les centrales nucléaires il existe deux exceptions au remplacement possible des composants : la cuve du réacteur et le bâtiment réacteur. Ceux-ci ne peuvent pas être remplacés.
– Le bâtiment réacteur (BR) est l’enceinte de confinement étanche en béton, de plus d’un mètre d’épaisseur, qui entoure la partie nucléaire du réacteur (le circuit primaire et les générateurs de vapeur). Compte tenu de son caractère massif, on considère qu’il n’est pas viable économiquement et techniquement de le détruire et de le reconstruire (sans toucher au reste !). Il n’est donc pas remplaçable : s’il est endommagé, le réacteur doit être fermé.
– la cuve du réacteur est en acier de plusieurs centimètres d’épaisseur ; c’est le cœur du réacteur et contient les assemblage radioactifs : c’est en son sein qu’a lieu la réaction de fission. Elle est scellée dans le béton et comme pour le BR on considère qu’il n’est pas envisageable de la changer. Si elle est endommagée, c’est la fermeture du réacteur là aussi.
Ces deux éléments sont particulièrement contrôlés et surveillés par des batteries de capteurs et ils font l’objet de toutes les attentions de l’ASN lors des visites décennales.
De ces deux composants, le plus critique est bien sûr la cuve. Le BR peut durer longtemps sans souci particulier s’il est bien entretenu : le béton est un matériau que l’on maîtrise parfaitement et qui peut durer 100 ans largement (c’est la durée prévue des ouvrages d’art en béton comme les ponts, par exemple). L’acier aussi peut durer très longtemps – pensez à la tour Eiffel qui a 120 ans – mais dans une cuve de réacteur nucléaire son comportement est lentement modifié par les radiations au fil du temps. Il est donc extrêmement surveillé et l’état de la cuve est LE critère majeur regardé à la loupe par l’ASN à chaque visite.

La MIS (Machine d’Inspection en Service) : robot piloté à distance utilisé pour les inspections des cuves

En France, jusqu’à aujourd’hui, tous les réacteurs ont toujours passé leurs visites décennales avec succès.

Aucune raison technique de principe n’empêche de poursuivre l’exploitation des réacteurs pendant 50 voire 60 ans (aux Etats-Unis, la possibilité d’aller jusqu’à 80 ans est même en cours d’évaluation). Certains réacteurs français ont déjà obtenu de l’ASN l’autorisation d’aller à 50 ans. Par exemple, le réacteur 1 de Tricastin, en 2019, a inauguré la série des quatrièmes visites décennales (« VD4 », petit nom donné à l’examen des 40 ans).

Le démantèlement des centrales : on sait faire ?

Peut-être avez-vous en tête que « le démantèlement des centrales, c’est un casse-tête, on ne sait pas faire » ? Pourtant si, cela a déjà été fait plusieurs fois et c’est actuellement en cours sur de nombreuses centrales dans le monde.

Par exemple, voici la centrale nucléaire de Yankee Rowe, aux Etats-Unis, lorsqu’elle était en opérations (réacteur de technologie REP comme les réacteurs français) :

Centrale de Yankee Rowe en exploitation (jusqu’en 1992)

Et voici le site de Yankee Rowe après 20 ans de démantèlement (fin de démantèlement en 2002) :

Site de Yankee Rowe de nos jours

Cette centrale a subit un démantèlement à l’issue duquel aucun bâtiment ou installation ne subsiste : c’est un retour à l’herbe (« green field »). Ce n’est pas toujours le cas : souvent les sites des centrales sont reconvertis en nouveau site industriel, nucléaire ou non (« brown field »).
Aux Etats-Unis, 6 réacteurs nucléaires REP ont déjà été totalement démantelés : Rancho Seco, ​Yankee Rowe, ​Trojan, ​San Onofre 1, ​Connecticut Yankee ​et Maine Yankee.

Ceci étant, les opérations de démantèlement d’un réacteur nucléaire sont :
– complexes et fastidieuses : nécessité d’œuvrer avec la présence de matériaux contaminés par la radioactivité, tout en protégeant les personnes qui travaillent,
– longues : 20 ans est un minimum,
– coûteuses : prévision entre 300 et 500 millions d’euros par réacteur français [source], à comparer avec le coût de construction d’un réacteur de environ 1,5 milliards d’euros pièce en moyenne [source]. A noter que ces coûts sont intégrés dans le prix de l’électricité, ce qui n’empêche pas la France d’avoir depuis des décennies un prix de l’électricité inférieur à la moyenne européenne, à environ 0,19 € par kWh [source]

Voici quelques informations à connaître concernant le démantèlement des centrales :

  • il existe deux stratégies de démantèlement :
    – le démantèlement différé, consistant à attendre quelques décennies pour laisser descendre le niveau de radioactivité avant d’intervenir, ce qui facilite les travaux
    – le démantèlement immédiat, consistant à intervenir sans attendre, ce qui rend les travaux plus complexes car il faut gérer des niveaux de radioactivité encore élevés.
    (il en existe une troisième, marginale et peu utilisée sauf aux Etats-Unis sur certaines installations militaires : le « confinement sûr », consistant en gros à sceller l’installation dans du béton après avoir enlevé les combustibles et fluides)
    En France, EDF à changé de stratégie au début des années 2000 : après avoir initialement choisi le confinement différé, ce qui explique que certaines centrales comme celle de Brennilis sont toujours en démantèlement depuis des décennies, EDF a finalement opté pour une stratégie de démantèlement immédiat, conformément aux recommandations de l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique).
  • 99,9% de la radioactivité d’une centrale se trouve dans le combustible. Dès lors que celui-ci est retiré – ce que l’on réalise dans les premières années après l’arrêt définitif de la centrale – tout le travail du démantèlement se concentre sur les 0,1% restant : décontamination, assainissement, démontage & destruction des équipements et de génie civil.
  • Dans le monde, 15 réacteurs ont déjà été démantelés et une cinquantaine d’autres sont en cours.
  • Démanteler un réacteur génère des déchets (essentiellement des gravats et éléments métalliques contaminés). Dans leur immense majorité ils sont faiblement radioactifs. Ils doivent bien sûr être traités spécifiquement : voir paragraphe sur le traitement des déchets.
  • Actuellement en France, sont en cours de démantèlement :
    – 9 réacteurs nucléaires dits de « première génération » ,
    – plusieurs installations nucléaires (laboratoires, réacteurs de recherche, installations de retraitement…)
    – un réacteur REP (même type que ceux actuellement en exploitation). Ce dernier, situé à Chooz dans les Ardennes, est un chantier important : il s’agit en quelque sorte d’un précurseur sur lequel sont validées les techniques de démantèlement qui seront appliquées à tous les autres réacteurs. La fin de son démantèlement est prévue en 2024.

En synthèse, retenez que démanteler un réacteur REP c’est fastidieux, long, coûteux mais on sait faire. Il n’y a pas d’obstacle technique majeur au démantèlement de nos réacteurs.

Que faire avec les déchets nucléaires ?

Comme nous l’avons vu plus haut, la réaction de fission de l’uranium engendre des sous-produits radioactifs. Parmi ces sous-produits, ceux qui n’ont pas d’intérêt ou de ré-utilisation future possible sont des « déchets nucléaires« .
De plus, tous les équipements, matériels, gravats, ferrailles… qui sortent d’une centrale ou une installation nucléaire en activité ou en démantèlement et qui sont – même très faiblement – contaminés par la radioactivité sont aussi des « déchets nucléaires » (la règlementation française une des plus strictes du monde sur ce point).

Ces déchets sont de différentes catégories, dont le traitement ultérieur ne sera pas du tout le même. Pour distinguer ces différentes catégories, il faut regarder deux critères :
– leur niveau de radioactivité (on parle de « niveau d’activité »), qui détermine leur dangerosité,
– leur durée de vie (on parle aussi de « période » radioactive), qui détermine la durée pendant laquelle ils seront dangereux. Rappelons ici une des caractéristiques fondamentale de la radioactivité : elle disparait toute seule, avec la dangerosité qui l’accompagne, au bout d’un certain temps (parfois très court, mais parfois aussi très très long).

En fonction de son niveau d’activité et de sa durée de vie, un déchet sera donc dans telle ou telle catégorie. Nous allons y revenir mais avant cela il faut parler d’un « détail » embêtant : en général lorsqu’ils sortent d’une centrale nucléaire, les différentes catégories de déchets sont mélangées. Notamment, le combustible usagé (il s’agit des petites pastilles d’uranium, vous vous souvenez, que l’on décharge du cœur du réacteur après qu’elles aient consommé leur uranium 235) contient un mélange de tous les sous-produits de fission.
La France a fait le choix de retraitement de ses déchets nucléaire. Cela signifie que l’on en fait le tri : on sépare les différentes catégories de déchets et les différents produits qui sont potentiellement réutilisables.
Ainsi, la première étape que subit le combustible usagé est d’être envoyé à l’usine de La Hague pour être triés par catégorie (après quelques années de stockage en piscine sur le lieu de la centrale pour qu’il se refroidisse et qu’il perde une partie de sa radioactivité).

En fonction :
1) du niveau d’activité :
– TFA Très Faible Activité,
– FA Faible Activité,
– MA Moyenne Activité,
– HA Haute Activité,
2) et de la durée de vie :
– VTC Vie Très Courte,
– VC Vie Courte,
– VL Vie Longue,
on classe les déchets en 6 catégories. Celles-ci sont les 6 ronds de couleur du tableau ci-dessous, qui mentionne aussi le traitement qui leur est apporté :

Les différentes catégories de déchets nucléaires et leur traitement (source ANDRA)
(L’unité d’activité est le Becquerel (Bq) : 1 Bq = 1 désintégration radioactive par seconde)
  • les déchets à vie très courte (VTC) proviennent majoritairement du secteur médical ou de la recherche. Leur radioactivité baisse très rapidement, ainsi on les entrepose simplement sur place pendant quelques mois, avant de les traiter en filière conventionnelle.
  • les déchets de très faible activité (TFA) proviennent majoritairement du fonctionnement, de la maintenance et du démantèlement des centrales nucléaires. Leur radioactivité est à peine supérieure à la radioactivité naturelle. Ils se présentent généralement sous forme de déchets inertes (béton, gravats, terres), de déchets métalliques ou plastiques. Ils sont envoyés dans un centre de stockage en surface spécifique, le CIRES (Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage) situé dans le département de l’Aube.
  • les déchets à vie courte et faible ou moyenne activité (FMA-VC) sont principalement des déchets issus de la maintenance (vêtements, outils, filtres, etc.), du fonctionnement (effluents liquides ou résultats de filtration des effluents gazeux) ou du démantèlement des centres nucléaires, des installations du cycle du combustible et des centres de recherche. On les stocke dans un centre de stockage en surface spécifique, le CSA (Centre de stockage de l’Aube, pas très loin du CIRES). Ils nécessitent une surveillance pendant 300 ans, le temps que la radioactivité ait décru jusqu’à un niveau proche de la radioactivité naturelle.
  • les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL) proviennent en majorité d’activités industrielles non nucléaires comme certains travaux de recherche et de traitement de minéraux contenant des terres rares. Ils peuvent également provenir de l’assainissement de sites historiquement pollués au radium (la découverte de Marie-Curie, vous vous souvenez ?). Par ailleurs les déchets issus du retraitement des réacteurs de première génération au graphite entrent dans cette catégorie.
    Ils sont faiblement radioactifs, mais ils le seront pendant longtemps, jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’années.
    Il sont pour l’instant conservés dans les centres de stockage de l’ANDRA. La solution de stockage définitive pour ces déchets n’est pas encore définitivement et officiellement validée ; elle consiste en un stockage enterré à faible profondeur, environ 20m, en couche d’argile, sur une site situé dans l’Aube (encore).
  • les deux dernières catégories de déchets sont les plus embêtantes : ce sont les déchets de haute activité (HA) à vie courte et longue et les déchets à vie longue de moyenne activité (MA-VL). Ils proviennent essentiellement du retraitement des combustibles usés et des activités de l’usine de La Hague. Ils sont fortement radioactifs et/ou resteront dangereux pendant plusieurs dizaines de milliers d’années.
    Stockés pour l’instant sur les sites d’entreposage de l’ANDRA, ils ont vocation à être stockés sur le site CIGEO à la limite entre la Meuse et la Haute-Marne (commune de Bure, dans la Meuse), à 500 mètres de profondeur. Ils concentrent 99% de la radioactivité de tous les déchets produits mais représentent un faible volume (4% du total).
Colis de déchets HA : emballage en acier inox contenant une matrice de verre dans laquelle sont enrobés les matériaux radioactifs. H = 1,3 m, D=45 cm, P=500kg

C’est le sort de ces deux dernières catégories de déchets (HA et MA-VL) qui pose le plus de questions et sur lequel se focalisent toutes les attentions.

En termes de volume, que représentent tous ces déchets ? Une « montagne » ? Voici une représentation graphique pour avoir une idée, avec les volumes des différentes catégories, à côté d’une vraie montagne (en l’occurrence la Sainte Victoire, en Provence ; pas de relation, c’est juste pour l’exemple) :

Volume de tous les déchets produits depuis le début nucléaire en France. Les deux dernières catégories les plus embêtantes sont les cubes rouges et violets. (graphique : @laydgeur)

Les volume correspondants à ces cubes sont les suivants (source):
– HA : 3 700 m3
– MA-VL : 46 000 m3
– FMA-VC : 900 000 m3
– FA-VL : 91 000 m3
– TFA : 460 000 m3
Ils peuvent paraître très importants mais c’est trompeur. Pour pouvoir comparer avec d’autres types de déchets, passons en tonnes annuelles et voyons ce que ça donne (source et source) :


Toutes catégorie de déchets nucléaires

57 000 tonnes / an
– dont HA et MA-VL (ceux qui nous embêtent)800 tonnes / an

Total déchets produits

800 millions de tonnes / an
– dont déchets industriels et urbains47 millions de tonnes / an
– dont déchets agricoles300 millions de tonnes / an
Tonnage des déchets produits en France chaque année
(je vous laisse chercher les chiffres à l’échelle du monde entier)


Alors, que penser du stockage des déchets à CIGEO à 500 mètres sous terre ?

Site CIGEO vu en coupe
Dans une galerie CIGEO
  • D’abord, il faut avoir conscience que, quoi qu’on dise ou qu’on fasse, les 50 000 m3 déchets HA et MA-VL destinés à CIGEO sont là. Certes, on peut éviter d’en produire d’autres en arrêtant le nucléaire, il n’en reste pas moins que ce stock accumulé depuis 50 ans existe et il faut décider quoi en faire, pas le choix.
  • Quelles solutions avons nous pour retraiter ces déchets ? Malheureusement il n’y en a aucune satisfaisante à ce jour, bien que la question soit étudiée depuis 30 ans (loi Bataille de 1991 ayant instauré les programmes de recherche dédiés à cette problématique). Des solutions de « transmutation », qui consiste à transformer ces déchets en substances moins dangereuses à l’aide d’un réacteur à neutrons rapides type Superphénix (ou à l’aide de lasers à haute puissance) ont été testées. Toutefois ces solutions complexes, lourdes à mettre en œuvre et dangereuses ont un rapport coût / bénéfices très défavorable et ne sont pas probantes (lire la conclusion de l’avis de l’IRSN sur ce sujet).
  • L’option qui reste et qui est actuellement testée à CIGEO est l’enfouissement profond (500m) en couche géologique stable (couche d’argile), avec un stockage accessible et réversible pendant 100 ans, avant de le refermer définitivement vers 2120-2130.
  • Un argument majeur souvent entendu contre le stockage souterrain à CIGEO est que « cela revient à se débarrasser du fardeau au détriment des générations futures ». Mais c’est précisément l’inverse : si on veut les garder en surface alors il faut être sûr que pendant des dizaines de milliers d’années nous serons capable de les garder sous surveillance, et de reconstruire encore et encore les bâtiments et installations qui les stockent. C’est plutôt ça qui est un fardeau… Alors qu’avec un stockage souterrain définitif (mais pas définitif avant 100 ans quand même, ça laisse pas mal de marge pour trouver une éventuelle – mais très improbable – solution de retraitement), il n’y a juste rien à faire.
  • Autre argument entendu : « Comment être sûr que sur des délais aussi longs les éléments radioactifs ne vont pas fuir dans l’environnement et remonter polluer la terre et les nappes phréatiques ? » Et bien c’est tout l’objet des études en cours à CIGEO depuis 15 ans.
    Rien n’est éternel on le sait : même un colis en verre entouré d’acier inoxydable, confiné dans le béton se dégrade très très lentement. Attention quand je dis lentement, c’est en dizaines de milliers d’années que l’on compte (lire ici).
    Dans l’hypothèse où la dégradation permet aux éléments radioactifs (enfin beaucoup moins radioactifs, après plusieurs dizaines de milliers d’années) d’attendre l’argile il leur faut encore migrer et surtout remonter de 500m, ce qui, dans l’argile – qui est dure comme de la roche à cette profondeur – est extrêmement lent : le confinement géologique est naturellement très efficace à cette profondeur. Exemple très parlant pour illustrer cela : il existe au Gabon, à Oklo, un réacteur nucléaire naturel qui a fonctionné dans la roche, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, il y a 2 milliards d’années (lire ici pour plus de détails). Les analyses faites sur ce réacteur ont montré que les éléments radioactifs n’ont pas migré de plus de quelques mètres en 2 milliards d’années, sachant bien sûr qu’ils n’étaient pas noyés dans le verre, l’acier inoxydable et le béton.
    Le principe retenu pour CIGEO est le suivant : la qualité de la couche géologique choisie permettra d’assurer que l’éventuelle migration des éléments radioactifs mettra bien plus longtemps que le temps nécessaire à ce que leur radioactivité décroisse et devienne inférieure à la radioactivité naturelle, soit environ 100 000 ans.
  • Pour ceux qui sont choqués par le principe d’enterrer nos déchets nucléaires parce qu’on ne sait pas quoi en faire, voici une question : à votre avis que pensez-vous que deviennent les centaines de millions de tonnes annuelles des autres déchets (industriels, chimiques, ménagers, dangereux ou inertes) que nous produisons ? Est-ce qu’ils disparaissent par magie ? Hélas non : hormis une très (très) faible partie qui est recyclée et une faible partie qui est incinérée, la majorité est enterrée. Nous ne savons pas faire autre chose. Voilà une réalité qu’on a pas envie de voir, qui est même particulièrement dérangeante de mon point de vue quand on y réfléchit, mais c’est comme ça : l’Humanité consomme des matières premières et de l’énergie et elle rejette, en permanence, des centaines de millions de tonnes de déchets – dont certains dangereux et toxiques – que l’on enterre, partout en France et dans le monde, parce qu’on ne sait pas quoi en faire (sans parler de ceux qui finissent dans les océans).
    Sachant cela, quel sens cela a de refuser le stockage à CIGEO au motif que, peut-être, dans plusieurs milliers d’années, un peu de radioactivité pourrait avoir migré en dehors des fûts destinés à la contenir à 500m sous terre ?

Conclusion : contrairement aux idées reçues, on sait quoi faire des déchets nucléaires. S’agissant des plus dangereux, la synthèse de tout ce que j’ai pu lire sur le sujet du traitement des déchets nucléaires est que l’enfouissement en couche géologique profonde, à CIGEO, est une solution appropriée.

En termes de stockage massif et non maîtrisé de déchets polluants et nocifs, il y a tellement tellement plus dangereux et risqué en tellement d’endroits ailleurs sur la planète (mais ils ne sont en général pas directement sous nos yeux) que notre énergie de protestation est, de mon point de vue, bien plus utile ailleurs que sur CIGEO.

Conclusion

Beaucoup de personnes ont peur du nucléaire, peur de ses radiations invisibles, peur de l’accident. Je le comprends. J’ai tenté dans cet article de vous donner quelques informations factuelles à mettre en face de cette peur, j’espère avoir pu vous apprendre 2-3 trucs.
Un très très grand bravo à ceux qui auront tout lu, et aux autres aussi ! N’oubliez pas les petites notes complémentaires que la petite coccinelle de Gotlib vous présente ci-dessous.

Pour ma part, ceux qui me connaissent le savent, ce sont les conséquences du réchauffement climatique qui me préoccupent. La seule façon d’y faire face c’est de faire feu de tout bois avec tous les leviers d’actions possibles. Et parmi tous les scénarios futurs étudiés par le GIEC, se sont ceux avec un mix électrique incluant un développement du nucléaire qui permettent d’arriver un minimum à contenir le réchauffement climatique.
J’en reparlerai, directement ou indirectement, dans d’autres articles, faites moi confiance ! ;-)

J’ajoute, pour finir, quelques compléments suite à mon article « Nucléaire VS Energies renouvelables : le match ? » :

  • un article de Sylvestre Huet (un des – rares – journalistes à parfaitement maîtriser les sujets énergies & climat) sur son blog du Monde appelé « {Sciences²} », qui pose parfaitement les éléments du débat sur la complémentarité des sources d’énergie nucléaire et renouvelables dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique.
  • un autre article de Sylvestre Huet sur le sujet : « le nucléaire, une énergie du passé en déclin dans le monde ? »
  • le rapport des experts de l’UE (en anglais, document assez peu digeste, je ne vous le conseille pas…) récemment rendu public à propos de la question de l’inclusion du nucléaire dans la liste des sources d’énergies finançables par l’UE pour lutter contre le réchauffement climatique qui défraie la chronique actuellement.
    Voici quelques extraits de ce rapport réalisé par un regroupement d’experts de différents instituts de recherche indépendants de différents pays européens, nommé JRC (Joint Research Center) :
    – « Il n’existe pas d’éléments scientifiques prouvant que le nucléaire est plus dommageable pour la santé humaine ou l’environnement que d’autres technologies de production d’électricité déjà incluse dans la liste »
    – « Il y a un consensus scientifique sur le fait que le stockage géologique en profondeur est une bonne solution pour que la radioactivité soit isolée de la biosphère pendant très longtemps. »
    – « L’impact du nucléaire sur la vie humaine (radiations et autres) est similaire à l’impact de l’éolien en mer. »
    – « Même en tenant compte des quelques rares accidents dramatiques, le nucléaire actuel est beaucoup plus favorable que les énergies fossiles, et comparable à l’éolien et à l’hydraulique, en terme de morts par GWh produit. »
    – « Avec le développement des réacteurs de génération 3 (comme l’EPR) , le risque est considérablement réduit, ce qui fait alors du nucléaire le mode de production d’énergie le moins risqué »

(1) En dehors des turbines à vapeur il existe aussi d’autres types de centrales moins courants (non nucléaires), comme les turbines à combustion dans lesquelles les gaz de combustion sont directement injectés dans la turbine pour la faire tourner.
Et pour la source de chaleur des turbines à vapeur, on peut aussi utiliser la combustion de biomasse (bois), du solaire thermique, une source géothermique si elle est suffisamment chaude, etc…
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(2) La « demi-vie » d’un élément radioactif, encore appelée « période radioactive », est la durée au bout de laquelle la radioactivité d’un échantillon diminue de moitié. Concrètement, au bout d’une période radioactive, exactement la moitié des atomes se sont désintégrés. Et si on attend le temps de la période suivante, la moitié des atomes restants se désintègrent, etc.
La diminution naturelle dans le temps de la radioactivité d’un échantillon de matière radioactive ressemble à cela :

Pour un type d’atome donné, la période radioactive est connue et fixe. Elle peut aller d’une fraction de seconde à … des millions d’années selon le type d’atome !
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(3) Il existe deux principaux « isotopes » naturels de l’uranium : l’uranium 235 et l’uranium 238. Seul le 235 est fissile et peut se casser en deux en recevant un neutron. C’est donc lui qui est intéressant pour les centrales nucléaires.
Mais dans la nature, l’uranium naturel (celui qu’on va chercher dans les mines), est constitué d’environ 0,7% d’uranium 235 seulement et 99,3% d’uranium 238. Or, pour qu’un réacteur fonctionne correctement, il est nécessaire d’avoir autour de 3 à 4% d’uranium 235. Ainsi, pour préparer l’uranium avant de l’utiliser comme combustible dans une centrale, il faut procéder à son enrichissement, qui s’effectue dans des usines spécialisées.

Mais au fait c’est quoi, un « isotope » ? Et bien nous avons vu que tous les noyaux d’atomes sont tous constitués d’un certain nombre de protons et d’un certain nombre de neutrons, et que le nombre de protons détermine le type d’atome : oxygène, carbone, uranium, etc…
Pour un nombre de protons donné, donc pour un type d’atome donné, le nombre de neutrons peut varier : ça ne change pas le type d’atome, mais cela fait que l’atome n’est pas tout à fait le même quand même. Ce sont tous ces atomes un peu différents – tout en restant du même type qu’on appelle les « isotopes ».
Exemples d’isotopes du carbone :
– carbone 12 : 6 protons et 6 neutrons
– carbone 14 : 6 protons et 8 neutrons
Exemples d’isotopes de l’uranium :
– uranium 235 : 92 protons et 143 neutrons
– uranium 238 : 92 protons et 146 neutrons
(il en existe d’autres, 26 en tout, mais je vous épargne la liste…)

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(4) Je vous vois venir avec votre question : « mais d’où vient le premier neutron pour démarrer la réaction en chaîne, tout au début ?? »
Effectivement, un réacteur nucléaire que l’on charge entièrement avec du combustible tout neuf ne démarre pas tout seul : il faut des neutrons pour démarrer la réaction en chaîne. On va donc faire appel à une source de neutrons, en injectant dans le réacteur un peu d’éléments naturellement émetteurs de neutrons, comme par exemple le californium.
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(5) Pour être complet sur les rejets, il faut savoir que toutes les centrales nucléaires possèdent une station d’épuration dans le but de filtrer les eaux usées de la centrale, par exemple les eaux servant au rinçage des différents circuits. Comme pour toutes les stations d’épuration, les eaux filtrées et épurées en sortie de station sont rejetées dans le rivière (ou la mer), et les gaz, filtrés, sont rejetés dans l’atmosphère. Ces eaux et gaz peuvent contenir de manière normale des traces d’éléments radioactifs. Ces rejets sont mesurés en permanence et strictement encadrés et ils sont sans aucun impact sur l’environnement.
Pour ceux qui se souviennent de l’épisode des taux de tritium « anormaux » mesurés dans la Loire durant l’été 2020 (le tritium peut en effet provenir des eaux sortant des stations d’épuration des centrales), c’est un non-sujet tellement les doses sont ridiculement faibles et très très très largement en dessous des seuils de non impact environnemental. Lire cet article, par exemple, sur ce sujet.

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(6) Pour être complet sur les émissions de CO2 liées à la production d’électricité d’origine nucléaire : oui bien sûr il faut construire, maintenir puis démanteler les centrales, et il faut aussi aller extraire l’uranium dans des mines, et tout cela nécessite d’émettre du CO2. Mais ramené au kilowattheure produit, le nucléaire est un des modes de production d’électricité les moins émetteur de CO2 :

La méthode ACV (Analyse Cycle de vie) permet de tout prendre en compte : extraction et transport des matières premières, construction des centrales ou installations, extraction et transport des combustibles, exploitation, démantèlement

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(7) Comme nous l’avons déjà vu, l’uranium utilisé dans une centrale nucléaire est enrichi à quelques pourcents d’isotope 235 par rapport au 238. Mais pour fabriquer une bombe il faut du 235 pur à plus de 90%.
Idem pour le plutonium : dans une centrale, le plutonium produit par la fission est disséminé en faibles quantités dans toutes les pastilles de combustible, alors qu’une bombe nécessite du plutonium 239 pur à plus de 90%.

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(8) Une des façons de mesurer le risque relatif à l’utilisation d’une source d’énergie est de… compter le nombre de morts qu’elle entraîne. Pas drôle comme exercice, mais c’est une façon (parmi d’autres) de les comparer, en rapportant le nombre de morts à la quantité d’énergie produite pour que la comparaison ait du sens (en Téra-Wh, TWh) :

Que voit-on ? L’énergie nucléaire est la source d’énergie qui engendre le moins de morts dans le monde, et de loin.
Celle qui en engendre le plus est le charbon : des centaines de milliers de personnes meurent chaque année dans le monde à cause de l’exploitation du charbon : principalement dans la population générale du fait de la population de l’air, mais aussi dans les mines, notamment en Chine mais aussi en Europe (lire par exemple cet article du Monde).
A côté de cela, le nombre total de morts attribués au nucléaire entre 1971 à 2009 (soit près de 40 ans) est d’un peu moins de 5000 personnes, soit un peu plus de 100 morts par an. Ces chiffres sont bien sûr à prendre avec des précautions, notamment du fait des incertitudes pesant sur la mortalité attribuée à l’accident de Tchernobyl). Ceci étant, même en prenant une fourchette (très) haute de quelques dizaines de milliers de morts à cause de Tchernobyl, l’ordre de grandeur n’a rien à voir avec les chiffres du charbon.
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(9) Quelles ont été les conséquences sanitaires du nuage de Tchernobyl en France ?
Ce sujet est est un exemple type des désaccords que l’on peut entendre sur le sujet du nucléaire. En gros :
– d’un côté, des instances officielles qui diffusent des informations rassurantes,
– de l’autre, des ONG, des associations et une part importante du grand public, qui estiment qu’une partie de la vérité est masquée et que les conséquences néfastes sont plus importantes qu’on le dit.
Il faut dépasser cette opposition de point de vue fortement polarisée (notamment dans les médias et sur les réseaux sociaux) entre « pour » et « contre » pour essayer d’approcher la réalité des choses qui comme toujours n’est pas simple, d’où la longueur du présent article ;-)
Il existe des institutions officielles dont la compétence et la rigueur des analyses depuis des décennies est reconnue. Par exemple l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiations), a cumulé depuis plus de 60 ans des connaissances et une expertise scientifique qui en font une référence internationale. Dans le domaine de l’étude de l’effet de la radioactivité, l’UNSCEAR est l’équivalent du GIEC pour l’étude du climat ou de l’IPBES pour l’étude de la biodiversité et des écosystèmes. Mon point de vue scientifique est de considérer que l’on peut accorder une bonne confiance aux informations qu’elles diffusent, qui sont une compilation des meilleurs connaissances scientifiques connues publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture. Ceux qui pensent que ces informations sont fausses ou tronquées doivent le démontrer de manière solide, c’est comme cela que fonctionne la science.

En France, on attribue au passage du nuage de Tchernobyl une augmentation de radioactivité moyenne au sol qui a conduit à une augmentation de dose reçue pour les humains de l’ordre de quelques centièmes ou dixièmes de mSv, très très largement inférieure à la radioactivité naturelle qui est de quelques mSv : voir le paragraphe sur le radioactivité. Cela avec des disparités régionales importantes (globalement la contamination a été moins importante dans l’ouest de la France) et des disparités locales (plus de contamination au sol là où il y a eu des précipitations : exemple de la Corse).
Pour ce qui est d’une éventuelle augmentation des cas de cancer en France, notamment de cancers de la thyroïde, qui serait due à cette contamination par les retombées du nuage de Tchernobyl, on ne le constate pas. Certes certains cancers augmentent mais depuis bien avant 1986 et sans changement après 1986. Cette absence d’incidence sur les cancers est cohérente avec les chiffres de quantité de rayonnement (en mSv) qui sont très largement en dessous des seuils à partir desquels les effets sur la santé sont effectifs
.
La conclusion est que l’on a pas observé d’effets sanitaires en France suite au passage du nuage de Thernobyl.
[pour en savoir plus]

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(10) Un des défauts de conception des centrales RBMK russes est le fait que l’extrémité basse des barres de contrôle destinées à contrôler le réacteur sont en graphite, un matériaux qui favorise la réaction de fission.
De ce fait, lors du début de la chute des barres dans le réacteur pour l’arrêter en urgence, la première chose qui se produit dans les premières secondes est une augmentation (temporaire) de la réaction !
A Tchernobyl, cela a été un facteur déclencheur de l’explosion du réacteur…
(lire ici pour plus de détails sur ces défauts de conception des RBMK)

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(11) Graphique avec une échelle logarithmique :
De même qu’un article dédié a été nécessaire pour expliquer les courbes exponentielles, il en faudrait un autre pour parler des échelles logarithmiques… Vite fait quand même, voilà l’idée :
Dans une graphique classique, les échelles de graduation (axes) sont dits « linéaires » : pour passer d’une graduation à l’autre on ajoute toujours la même quantité. Par exemple un axe gradué avec 10, 20, 30, 40, etc… est une échelle linéaire : +10 entre chaque graduation.
Dans une échelle logarithmique, entre chaque graduation on multiplie par une quantité fixe : 1, 10, 100, 1000, etc… (multiplié par 10 à chaque fois)
.
On utilise ces échelles pour représenter graphiquement des quantités qui varient énormément, sur plusieurs ordres de grandeurs. Elles sont trompeuses car elles modifient fortement la forme des courbes : il faut y faire attention quand on lit un graphique...
[retour]

Quelques sources d’information sur le nucléaire :

Le site de l’Autorité de Sûreté Nucléaire :
ASN

Le site de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire :
IRSN

Le site de la Société Française d’Energie Nucléaire :
SFEN

Le blog de vulgarisation d’un ingénieur en sûreté nucléaire :
https://doseequivalentbanana.home.blog/

Un article sur le site de l’AFIS pour clarifier les éléments du débat sur le nucléaire :
https://www.afis.org/Nucleaire-un-debat-qui-doit-ecarter-les-mauvais-arguments

7 réponses
  1. Manue
    Manue dit :

    Riche en infos et en fils à tirer car tu nous apprends plein de choses qui interpellent : 10mSv pour un scanner donc si t’en fais 10 sur une même année, c’est dangereux ? 300 millions de tonnes de déchets agricoles…. Euh… Après, pourrissement et épendage ou mieux méthanisation ? Suis pas très « cultivée » dans ce domaine alors si quelqu’un sait ce qu’il y a dans ces déchets, suis preneuse. Merci Philippe de permettre à nos esprits confinés de s’ouvrir !

    Répondre
    • Philippe
      Philippe dit :

      Merci Manue !
      Alors avec 10 scanners à 10 mSv chacun, sur une même année, tu es au seuil de 100mSv/an. Ce n’est pas dangereux, mais tu es à la limite où tu va commencer à augmenter, un petit peu, ta probabilité d’avoir un cancer un jour. On est à la limite donc ce n’est pas grave du tout car ce seuil de 100 mSv n’est pas une marche d’escalier avec une brusque augmentation du risque, c’est juste le moment ou statistiquement le risque commence doucement à augmenter.

      Sinon sur les déchets, en France sont produits chaque année l’équivalent de 350 millions de tonnes de déchets organiques (source) :
      •            des bio-déchets des gros producteurs (restauration collective, supermarchés…)
      •            des déchets municipaux (déchets ménagers, boues de stations d’épuration)
      •            déchets des industries agroalimentaires
      •            déchets agricoles (effluents d’élevages, résidus des cultures)
      Ce chiffre c’est avant épandage, traitement, valorisation, etc….

      Répondre
  2. Jean Pierre Gallot
    Jean Pierre Gallot dit :

    Encore bravo pour cet excellent travail de vulgarisation. Là encore, le manque de connaissance du grand publique entraine des réactions inappropriées.
    Personne ne critique les Allemands ou les Italiens qui font tourner leurs centrales à charbon ou à gaz.
    Personne ne pleur sur les mineurs japonnais décédés encore récemment..
    Malheureusement, une minorité d’activitstes agissent et trouvent un écho dans les dédias.
    Notons tout de même que l’attitude et le mutisme d’EDF ans le domaine n’a pas arrangé les choses.
    Comme tu le dit, le combat actuel est le réchauffement climatique, pas le danger nucléaire.
    Encore bravo

    Répondre
    • Philippe
      Philippe dit :

      Merci Jean-Pierre :-) J’y ai passé pas mal de temps sur cet article.
      Pendant longtemps effectivement EDF et les pouvoirs publics ont très mal communiqué sur le sujet du nucléaire. Il y a eu clairement un manque de transparence, qui a été très néfaste sur l’image du nucléaire.

      Répondre

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