L’électricité, comment ça marche ?

[Temps de lecture moyen 22 min]

Appuyer sur un bouton et allumer la lumière. Facile. Banal. Quotidien.
Mais nous avons en fait oublié, ou simplement nous ignorons, tout ce qui rend ce simple geste possible… C’est l’objet de cet article, dans lequel nous parlerons aussi de transition énergétique et de sources d’énergies électriques. C’est parti !

[message à mes abonnés : désolé pour la coquille dans le mail que vous avez reçu (« comme ça marche ») ! ;-) ]

Photo : CRE

Qu’est ce que l’électricité, au juste ?

Si vous avez lu mon article sur le nucléaire, vous avez retenu que les atomes, constituants de la matière, sont constitués d’un noyau et d’électrons qui tournent autour :

Il se trouve que dans certains matériaux dits « conducteurs », comme les métaux, certains électrons ont la particularité de pouvoir « sauter » d’un noyau à l’autre, puis au suivant, etc… et ainsi de se déplacer de manière continue, formant un « fleuve » d’électrons dans la matière.

Circulation d’électricité dans un matériau conducteur, par exemple du cuivre :
– les noyaux des atomes de cuivre (rouge et verts) ne bougent pas
– la majorité des électrons (bleus) tournent bien peinards autour des noyaux
– certains électrons plus énervés que les autres (roses) sautent d’atome en atomes et se déplacent de droite à gauche (flèches) : c’est cela l’électricité !

L’électricité est un flux d’électrons qui se déplacent dans un matériau conducteur, comme un torrent coulant entre les rochers...

Fabriquer de l’électricité

Et qu’est-ce qui pousse les électrons à se déplacer ? Nous devons au physicien britannique Michael Faraday d’avoir découvert, en 1831, qu’un aimant peut « pousser » les électrons et les forcer à avancer dans un fil conducteur. Voilà la clé : déplacez un aimant à proximité d’un fil conducteur et ainsi, en poussant les électrons avec le champ magnétique de l’aimant, vous allez créer un courant électrique dans le fil ! C’est sur la base de ce principe que fonctionnent les alternateurs (on verra plus loin pourquoi on les appelle ainsi) situés dans les centrales électriques, les nacelles d’éoliennes ou les dynamos de vélo…

Principe d’un alternateur : un aimant en rotation devant une bobine de fil conducteur « pousse » les électrons et génère un courant électrique dans le fil.
Le fait d’enrouler le fil sous forme d’une bobine démultiplie l’effet de l’aimant : dans chaque tour de fil les électrons sont poussés !

Ce qui rend l’électricité si extraordinaire et pratique c’est le fait que, à l’intérieur d’un fil conducteur, les électrons sont guidés dans le métal et sont « poussés » par le champ magnétique des aimants de l’alternateur sur une très grande distance, loin de celui-ci : des dizaines voire des centaines de kilomètres !
Il y a par contre une condition indispensable pour que cela fonctionne : les électrons doivent revenir à leur point de départ pour boucler la boucle. C’est pour cela que l’on parle de circuit électrique et c’est la raison pour laquelle dans vos prises électriques il y a toujours au moins deux fils : un pour l’aller des électrons et un pour leur retour… Tous les réseaux électriques du monde sont faits ainsi : en partant des alternateurs, dans les centrales électriques (1), et jusqu’à tous les équipements électriques (prises de courant, moteurs, lampes, …), il y a toujours au moins deux fils.

Pourquoi le courant est-il dit « alternatif » ?
Les propriétés d’un aimant sont telles que celui-ci comporte nécessairement deux « pôles » appelés Nord et Sud, qui se comportent différemment : l’un « pousse » les électrons dans la bobine comme je l’ai indiqué ci-dessus, mais l’autre « attire » les électrons… Vous comprenez ainsi que lorsque l’aimant fait un tour complet, les électrons sont successivement – je devrais dire alternativement – repoussés puis attirés. Le courant électrique généré dans le fil ne va donc pas tout le temps dans le même sens : il va la moitié du temps dans un sens et l’autre moitié du temps dans l’autre sens. D’où l’appellation « courant alternatif », « alternateur »…
Le courant que vous délivre votre fournisseur d’électricité est du courant alternatif, qui fait un aller-retour 50 fois par seconde. On dit qu’il a une « fréquence » de 50 Hertz (Hz). C’est le cas de tous les fournisseurs d’électricité du monde entier, avec toutefois une fréquence qui peut être différente : 60 Hz en Amérique du Nord, par exemple (en savoir plus).

L’électricité : un formidable vecteur pour transporter de l’énergie

L’énergie produite (2) dans les centrales électriques (énergie d’origine fossile, ou nucléaire, ou hydraulique, ou solaire, ou éolienne…) est transportée via le réseau électrique jusqu’aux appareils électriques qui vont l’utiliser : vos ampoules, votre machine à laver, un train électrique, un moteur, une usine…. Simple et pratique, il faut « juste » des fils électriques.

Schéma simplifié du réseau électrique. Le « transport » est effectué par les lignes dites « haute tension », tandis que la « distribution » est effectuée par des lignes de plus basse tension qui vont jusque dans nos maisons.
(Le réseau
est en réalité plus complexe, notamment depuis que se développent de nouvelles productions d’électricité décentralisées : panneaux solaires, éoliennes,… mais vous avez là l’idée générale)

L’électricité, c’est le « circuit court » de l’énergie : directement du producteur au consommateur !

Peut-on stocker l’électricité ?

Sur le lit d’une rivière, on peut créer un barrage pour stocker de l’eau et la relâcher à volonté en ouvrant les vannes. Sur un circuit électrique, c’est impossible : les lois de la physique imposent que les électrons doivent s’écouler car il n’existe pas de « réservoir » d’électrons que l’on pourrait remplir et vider à volonté. Un stock d’électrons pleins d’énergie et prêts à se ruer dans les fils pour générer de l’électricité, hélas ça n’existe pas ! (3).

Pratiquement, il n’est pas possible de stocker de l’électricité.

Le réseau électrique : un fonctionnement « tiré par la demande »

Chez vous, quand vous appuyez sur un bouton pour allumer une lampe, ou quand vous lancez une lessive sur votre machine à laver, qu’est-ce qui se passe ? Concrètement, cela revient à raccorder un nouvel appareil (lampe, machine à laver) au réseau électrique, dans le but que le flux d’électrons du réseau traverse votre appareil et le fasse fonctionner. Cela constitue une demande d’électricité sur le réseau.
Pour que cela fonctionne il faut que, dans le réseau, au niveau des centrales électriques, la production électrique augmente en proportion, pour pousser ces nouveaux électrons dont vous avez besoin. Sinon, il n’y a pas assez d’électrons pour tout le monde !

Une demande d’électricité entraîne donc instantanément la nécessité d’une production équivalente dans les centrales électriques (4). Dit autrement, le fonctionnement du réseau électrique est « tiré par la demande ».
Le contraire est difficilement concevable : peut-on imaginer qu’il faille attendre que les centrales décident de produire de l’électricité pour avoir de la lumière, faire tourner une lessive, faire avancer un train, faire tourner une usine, etc… ?? (5)

Bien sûr, par rapport à la capacité de production de toutes les centrales électriques françaises, votre lampe ou votre machine à laver représentent une toute petite demande d’électricité qui va en fait passer inaperçue. Mais ce n’est pas le cas si on cumule toutes les ampoules et toutes les machines à laver de tous les français ! Ainsi par exemple, chaque jour en semaine vers 19h quand globalement la majorité des gens rentrent chez eux et allument la lumière, montent un peu le chauffage électrique, allument la plaque à induction… alors il y a un surplus de demande d’électricité et la production des centrales électriques doivent s’adapter pour produire plus.
En réalité, c’est même tout au long de la journée que les centrales doivent s’adapter, en fonction des usages… Pour illustrer cela, voici un graphique qui montre l’évolution de la puissance électrique en France sur un jour ouvrable moyen :

Production (puissance) électrique typique d’une journée en été, hiver et demi-saison (DS). [RTE 2011]

Vous le voyez, le pic de 19h-20h ? On peut remarquer aussi que :

  • le pic est moins prononcé en été (moins besoin d’éclairage),
  • la consommation est moins importante au milieu de la nuit (les fameuses « heures creuses » de moindre activité dans les foyers et les lieux de travail, pendant lesquelles l’électricité est moins chère)
  • la consommation augmente fortement le matin (démarrage de l’activité sur les lieux de travail)
  • la consommation est globalement bien moins importante en été (moins besoin de chauffage),

En France, c’est RTE et son Centre National d’Exploitation du Système (CNES) qui est chargé de l’adaptation, seconde par seconde, de la production électrique nationale à la demande, en liaison permanente avec toutes les centrales de production électrique.

Pour les curieux, si vous voulez voir en temps réel la courbe de consommation du jour, voici le site de RTE qui permet de la visualiser chaque jour de l’année.

Le fonctionnement du réseau électrique : un équilibre constant et une synchronisation permanente

[NB Ce paragraphe est un petit peu technique. Vous pouvez zapper si vous voulez ! C’est dommage, mais vous pouvez sauter au paragraphe suivant directement sans que cela ne nuise à la compréhension de la suite ;-) ]

Nous l’avons vu ci-dessus : la quantité d’électricité produite par toutes les centrales doit s’adapter en permanence pour équilibrer la demande et répondre à celle-ci.

Allons un petit plus loin.

Saviez-vous que toutes les centrales fonctionnent toutes ensemble de manière parfaitement synchronisées (en France et même dans toute l’Europe vu que les différents réseaux nationaux européens sont interconnectés) ?
Concrètement, tous les alternateurs tournent tous exactement à la même vitesse et ils sont tous en phase : dans toutes les centrales, au même instant précis, tous les aimants des alternateurs (6) poussent les électrons en même temps, puis tirent les électrons en même temps ! Et cela 50 fois par seconde.
Lorsqu’une centrale démarre, son alternateur doit d’abord se mettre pile à la bonne vitesse, en phase avec le réseau, et ensuite il se raccorde au réseau pour fournir son électricité.
C’est ouf, non ?

Cette synchronisation de tous les alternateurs est fondamentale, elle est au cœur du fonctionnement du réseau. Elle est intrinsèquement liée au bon fonctionnement de celui-ci. C’est comme si tous les alternateurs étaient liés ensembles, ils ne peuvent pas faire autrement que de tourner de concert.

Maintenant que se passe-t-il si la demande d’électricité augmente et que rien n’est fait pour la compenser par une augmentation de production suffisante ? Alors les alternateurs n’arrivent pas à suivre et tous ensemble ils ralentissent : la fréquence électrique sur le réseau diminue alors à 49,9 Hz, puis 49,8 Hz, etc…
Si on ne fait toujours rien alors la fréquence continuera de diminuer et le réseau finira par s’effondrer complètement et totalement ! Ce scénario est le cauchemar de RTE… Fort heureusement, en France ce n’est pas arrivé depuis fort longtemps (précisément depuis le 19 décembre 1978, voici le journal Antenne 2 de ce jour-là, en vidéo) mais cela se produit de temps en temps dans certains pays du monde.
C’est donc comme cela que fonctionne le réseau : l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité s’effectue grâce à la fréquence : si elle chute, il faut augmenter la puissance produite, a contrario si elle augmente alors il faut diminuer la puissance produite. Simple, non ?
Et la tension, me direz vous ? Et bien elle importe peu : en France la tension du courant délivré est de 230 Volts (avant c’était 220V ; depuis 1996, pour des raisons d’harmonisation européenne, on est passés à 230V), mais elle peut varier de 10% en plus ou en moins, ce n’est pas gênant et cela n’a pas d’impact particulier. Comme indiqué ci-dessus, c’est la fréquence qui est importante.

Tension électrique alternative 50Hz – 230 V délivrée par votre fournisseur d’électricité


Voilà pour cette petite partie un peu technique, vous vous coucherez ce soir en sachant un truc de plus ! ;-)

Production d’énergie électrique « pilotable » : quésako ?

J’en arrive au point le plus important que je voulais aborder dans cet article.

Afin d’être en capacité d’augmenter et diminuer à volonté la production électrique pour s’adapter seconde par seconde à la demande, on a besoin de sources d’énergie dites pilotables. Cela signifie en gros qu’il faut pouvoir « tourner le bouton » pour ajuster la puissance produite, comme on le fait à la maison pour pousser ou réduire le chauffage.
Mais toutes les sources d’énergie ne sont pas pilotables… faisons un tour d’horizon :

Sources d’énergie pilotables (les principales) :

  • Charbon, gaz, pétrole : on module facilement la puissance produite par les centrales en injectant plus ou moins de carburant dans la chaudière (voir ici dans mon article sur le nucléaire le rappel du fonctionnement d’une centrale électrique).
    66% de l’électricité mondiale est produite avec du charbon (39%), du gaz (23%) ou du pétrole (4%) (source).
  • Hydroélectricité : il suffit d’ouvrir et de fermer les vannes des barrages pour turbiner plus ou moins d’eau.
    16% de l’électricité mondiale est produite grâce à l’hydroélectricité (source)
  • Nucléaire : on module la puissance d’un réacteur à l’aide des barres de contrôles que l’on descend plus ou moins dans le cœur (voir ici dans mon article sur le nucléaire)
    10% de l’électricité mondiale est produite à partir de l’énergie nucléaire (source)

Sources d’énergie NON pilotables (les principales) :

  • Eolien : la puissance produite par les éoliennes dépend du vent. C’est une source d’énergie dite « intermittente ». Il n’est pas possible d’augmenter la puissance produite à la demande.
    5% de l’électricité mondiale est produite à partir de l’énergie éolienne (source)
  • Solaire photovoltaïque : la puissance produite par les panneaux solaires PV dépend de l’ensoleillement. C’est donc aussi une source d’énergie intermittente que l’on ne peut pas moduler à la demande.
    2% de l’électricité mondiale est produite à partir de l’énergie éolienne (source)

Comme on le voit, au niveau mondial, ce sont les sources fossiles (charbon, pétrole, gaz) qui sont la principale source d’énergie pilotable…

Le cas de la France

Pour la France, il existe un site internet permettant de voir en temps réel quelles sont les différentes sources d’énergie, pilotables et non pilotables, qui contribuent à notre production électrique à chaque instant. En voici une copie d’écran à l’heure où j’écris ces lignes, le 6 septembre 2021 (pour les curieux, le site est ici, mis en ligne par RTE) :

Production électrique en France, par filière de production, la journée du 6 septembre 2021.
A gauche, le graphique donne l’évolution de la production au fil de la journée, en MW.
A droite, les chiffres sont ceux à l’heure à laquelle se termine le graphique, vers 21h, en %.

Que peut-on remarquer ?

  • la journée a été chaude et ensoleillée : le solaire, non pilotable, a « beaucoup » produit, avec une évolution qui suit l’ensoleillement : démarrage le matin, maximum autour de 13% vers 14h, puis déclin et fin le soir
  • la journée a été peu ventée : l’éolien, non pilotable, a été très faible avec un maximum à 4% en tout début de journée peu après minuit, avant de stagner à environ 2% toute la journée
  • la majorité de la production a été assurée par le nucléaire pilotable : évolution entre 86% la nuit (pas de solaire) et 71% en milieu de journée quand le solaire est au max
  • l’hydraulique pilotable a assuré entre 6% et 13%
  • les fossiles pilotables, gaz essentiellement et un peu de charbon (à la centrale de Cordemais pour alimenter la Bretagne, comme on peut le vérifier ici ; j’en reparle plus loin) : 6 à 8%.
  • la bande grise tout en bas représente l’électricité que l’on exporte vers nos voisins : principalement vers l’Allemagne pour environ 3000 MW (chiffre trouvé grâce à https://www.electricitymap.org/map, site fort intéressant dont je vous ai déjà parlé), l’Allemagne qui manque d’électricité bas-carbone du fait de la quasi absence de vent ces jours-ci sur une large part de l’Europe de l’Ouest.
  • la petite bande bleue sombre au dessus de la grise, vers 4 / 5h du matin correspond à du pompage dans nos STEP : j’en reparle un peu plus loin.

Ces chiffres permettent de comprendre comment les productions électriques « s’empilent » :
– d’abord les non pilotables qui « font ce qu’elles veulent », en quelque sorte,
– puis les pilotables qui s’ajoutent et que l’on ajuste à la demande pour suivre celle-ci

Vous voyez aussi pourquoi on dit que la production électrique française est décarbonée à plus de 90 % : la part des fossiles reste largement en dessous de 10%.

Transition énergétique et sources d’énergie pilotables : une question fondamentale… et épineuse

Nous le savons, le défi de la transition énergétique que nous devons mener à bien au niveau mondial est de réussir à nous passer des sources d’énergie fossiles charbon, pétrole et gaz (relisez mon article sur le sujet).

SI vous avez bien lu le paragraphe ci-dessus avec les % des sources d’énergie utilisées mondialement, vous la voyez venir, la question qui pose souci… La voici :
Sachant que le fonctionnement des réseaux électriques nécessite des sources d’énergie pilotables, lesquelles allons nous pouvoir utiliser s’il ne faut plus avoir recours aux source d’énergies fossiles (66% des sources d’énergies actuelle) ??
Essayons de chercher la réponse en balayant les solutions possibles.

L’hydroélectricité :
dans certains pays (Norvège, Islande), le potentiel hydraulique est colossal et offre à ces pays une source d’énergie bas carbone importante et pilotable. Mais dans la majorité des pays, dont la France, ce n’est pas le cas. On considère qu’en France le potentiel hydraulique existant est déjà presque totalement exploité et qu’il est extrêmement difficile de développer encore l’exploitation de l’hydroélectricité.

Barrage de Roselend (France)

Le nucléaire :
l’énergie nucléaire permet de produire de l’électricité bas carbone de manière pilotable. En France, c’est cette source d’énergie qui nous permet d’avoir une production d’électricité parmi les moins carbonées du monde.
De nombreuses personnes la considèrent trop risquée et souhaitent une sortie du nucléaire. D’ailleurs les pouvoirs publics, en France :
– ont inscrit dans la loi la réduction de sa part à 50% de la production électrique en prévoyant de fermer d’autres réacteurs nucléaires après ceux de Fessenheim l’an dernier,
– diffèrent pour l’instant la décision ferme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires (après l’EPR de Flamanville),
– ont arrêté ASTRID, le projet de réacteur nucléaire de nouvelle génération (celle d’après l’EPR).
D’autres nombreuses personnes – dont je fais partie – considèrent que le nucléaire, en tant que source d’énergie pilotable et bas carbone ne doit pas être exclu de l’arsenal des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique en diminuant les émissions de CO2. Ce défi est déjà extrêmement difficile alors si on se prive volontairement de certains moyens d’y arriver, il le sera considérablement plus.

Centrale nucléaire de Civaux (Vienne)

Le stockage
« Maiiiis il y a écrit plus haut qu’on ne pouvait pas stocker l’électricité !  » : voilà ce que vous vous dites si vous avez bien suivi. C’est vrai… mais on peut ruser : il est possible de transformer l’énergie électrique en une autre forme d’énergie qui, elle, peut se stocker. Ensuite quand on en a besoin on retransforme cette énergie en électricité et le tour est joué !

Le stockage par batteries (stockage d’énergie sous forme chimique) est celui auquel on pense tout de suite. D’intenses recherches ont lieu dans le monde entier pour développer de nouveaux types de batteries toujours plus performantes. Toutefois aujourd’hui le stockage par batteries n’est pas une solution suffisante, de loin, compte tenu de la quantité colossale d’énergie – et donc de batteries – qui est en jeu. Pour fixer les idées : en mobilisant toutes les batteries existantes actuellement en France, chargées à 100%, combien de temps pourrait-on assurer la production électrique du pays ? Quelques dizaines de secondes… alors qu’il faudrait être capable de tenir des heures voire des jours (j’y reviens ci-après)…

Une autre technologie de stockage fonctionne par contre très bien : le stockage sous forme d’énergie de pesanteur. Concrètement il s’agit des installations hydrauliques appelées STEP (Stations de Transfert d’Énergie par Pompage) : on pompe de l’eau pour la remonter dans un lac de barrage en altitude pour être ensuite capable de la turbiner à la demande pour produire de l’électricité. C’est de loin la technologie de stockage la plus pertinente et la plus performante. En France hélas on ne peut que difficilement la développer du fait du manque de sites adéquats qui pourraient être équipés aisément (il y a déjà 6 STEP en fonctionnement en France actuellement ; la plus importante est celle de Grand’maison en Isère).
Dans le monde, 99% (source de ce chiffre) du stockage d’énergie s’effectue avec des STEP : en savoir plus sur les STEP.

STEP du Nant de Drance (Suisse)

D’autres technologie de stockage existent toutefois en recherche et développement :
« power to gas » & hydrogène (rappel en passant : l’hydrogène n’est PAS une source d’énergie, seulement un vecteur pouvant être stocké….) :
fabrication de gaz à partir d’électricité, stockage du gaz, puis re-fabrication d’électricité. Ces technologies sont encore embryonnaires et sont handicapées par des rendements faibles.
volants d’inertie :
mise en rotation à haute vitesse de lourds volants, dont l’inertie en rotation permet ensuite de re-fabriquer de l’électricité… mais pendant seulement quelques minutes (15 maxi).
air comprimé :
stockage d’air comprimé dans de grands volumes (typiquement des cavités souterraines) pour ensuite l’utiliser pour faire tourner des turbines de production d’électricité. Les capacités de stockage d’énergie de cette technologie, et les rendements associés, sont assez faibles.

Le stockage est un enjeu majeur de la transition énergétique. Pour l’instant, hormis les STEP, les technologies actuelle ne sont pas matures. Mais de nombreuses recherches sont en cours de part le monde dans ce domaine.

Le charbon, le pétrole, le gaz :
Du fait du manque de sources d’énergies bas carbone pilotables disponibles et du manque de capacités de stockage, aujourd’hui on ne sait pas faire autrement hélas que de recourir aux sources d’énergie fossiles. Même si cela est en contradiction totale avec les objectifs de transition énergétique, il existe malheureusement de nombreux exemples qui illustrent cela. En voici quelques-uns :
– la Belgique a pris récemment la décision d’arrêter ses centrales nucléaires. Sur quelle source d’énergie pilotable va-t-elle s’appuyer en remplacement ? Du gaz ! La Belgique va ainsi augmenter ses émissions de CO2 dans les années et décennies à venir, on marche sur la tête… (lire ici)
– l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire depuis 20 ans et a beaucoup développé l’éolien, notamment. Mais elle continue de s’appuyer sur ses centrales à charbon comme source d’énergie pilotable… Résultat : malgré d’énormes investissement dans les énergies renouvelables essentiellement éoliennes, ses émissions de CO2 n’ont qu’assez peu baissé et son électricité reste très carbonée, huit fois plus que la France… (lire ici et ici)
– en France, en Bretagne, aucune centrale nucléaire n’a jamais été construite. De ce fait, l’alimentation électrique de la Bretagne est dépendante de centrales électriques qui ne sont pas sur son territoire, notamment la centrale au charbon de Cordemais, proche de Nantes. Or celle-ci va bientôt fermer (et c’est heureux pour nos émissions de GES). Mais que va-t-on faire pour compenser sa fermeture ? Et bien une centrale à gaz est en construction à Landivisau, dans le Finistère… Une centrale à gaz ! (lire ici)
– en Asie : plus de 600 centrales à charbon sont en projet actuellement. 600, vous avez bien lu ! Ca se passe de commentaires… (lire ici)

Central au charbon de Datteln-4
(Allemagne – mise en service en 2020)

Vous voyez quel problème épineux nous devons résoudre ? Nous avons besoin de sources d’énergie bas carbone ET pilotables. Tel est notre défi.

Un exemple pour comprendre

On peut illustrer cette question épineuse de la manière suivante, qui permet de la comprendre par l’exemple :

Peut-être certains d’entre vous pensent que la transition énergétique c’est facile : « il suffit de développer l’éolien et le solaire et le tour est joué ». Mais ce n’est pas si simple : il existe très régulièrement en hiver des périodes où il n’y a ni vent, ni soleil, pendant des jours entiers, et ce dans de larges régions de l’Europe de l’Ouest. Du coup sachant qu’il faut malgré cela, pendant ce temps, que les trains roulent, que les chauffages chauffent, que les lumières s’allument… comment produit-on notre électricité (sachant qu’on ne sait pas stocker l’énergie en quantités suffisantes, cf § ci-dessus) ??
C’est LA question épineuse à laquelle, aujourd’hui, on ne sait pas répondre de manière satisfaisante : comment fait-on quand il n’y a ni vent ni soleil ? Sur quelle source d’énergie pilotable et bas carbone pouvons nous « tourner le bouton » pour nous alimenter en électricité ?

D’aucuns diront que selon certaines études, des scénarios 100% ENRi (EnNergies Renouvelables Intermittentes) sont théoriquement possibles. Par exemple l’étude de RTE que j’ai déjà évoquée dans cet article.
Mais malheureusement les conditions nécessaires pour que ces scénarios tiennent un minimum la route font qu’ils sont extrêmement incertains :
– hypothèse que la demande en électricité va baisser alors que nous avons au contraire besoin de l’augmenter pour reporter nos consommations d’énergie fossile non électrique vers de l’électricité bas carbone (cf mon article sur la transition énergétique : développement de la mobilité électrique, pompes à chaleur, etc….) (7),
– hypothèse d’une forte flexibilité de la demande qui pose de manière aigüe la question de l’acceptabilité sociale des importantes contraintes que cela implique pour la population,
– hypothèse de l’existence d’importantes capacité de stockage d’énergie, inexistantes aujourd’hui et dont le développement est incertain (cf ci-dessus),
– hypothèse d’une évolution (renforcement) considérable du réseau électrique qui nécessite des investissements colossaux.
Pour illustrer l’extrême difficulté de ces scénarios, remontez au graphique ci-dessus montrant la production par filière, enlevez le nucléaire et les fossiles et imaginez que c’est tout cela qu’il faut compenser…

Conclusion

L’objectif de cet article était de vous faire comprendre quelques points clé relatifs à l’utilisation de l’énergie sous forme électrique et au colossal défi que nous devons relever pour réussir la transition énergétique.
C’est un sujet extrêmement vaste et complexe, que je n’ai fait que résumer et effleurer dans cet article. Si vous souhaitez que j’en creuse certains aspects dans d’autres articles à venir, dites-le moi en commentaire :-)


(1) Il est possible de fabriquer de l’électricité sans alternateur, en utilisant l’effet photovoltaïque qui est le principe de fonctionnement des panneaux du même nom. Dans ce cas, ce sont les rayons lumineux qui mettent en mouvement les électrons dans le matériau, en les arrachant à leur orbite autour des noyaux. Le photovoltaïque représente un peu plus de 2% de la production électrique en France ; le reste est produit avec des alternateurs, en utilisant différentes sources d’énergie pour les mettre en mouvement.
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(2) Dans une centrale électrique, il est plus correct de parler d’énergie « convertie » que d’énergie « produite ». En effet, le célèbre principe « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » que le chimiste Lavoisier a énoncé à propos de la matière, s’applique à l’énergie : celle-ci ne peut – hélas – être créée, elle ne peut être que transformée, convertie.
Ainsi, une centrale produit de l’énergie sous forme électrique en convertissant de l’énergie existant préalablement sous une autre forme : énergie chimique présente dans les combustibles fossiles, énergie nucléaire présente dans les noyaux des atomes d’uranium…

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(3) Les électroniciens diront que ce n’est pas tout à fait vrai : il existe des composants électroniques appelés « condensateurs » qui permettent de stocker de petites quantités d’électricité. Ils sont très utilisés en électronique. Mais les quantités d’électricité stockées sont ridiculement faibles au regard de celles véhiculées dans le réseau électrique : impossible d’espérer les utiliser pour du stockage en masse d’électricité.
Par ailleurs, certains laboratoires réussissent à envoyer tourner des courants continus d’électrons dans des anneaux réalisés en métal supraconducteur. Les métaux dits « supraconducteurs » ont la capacité de n’opposer aucune résistance au passage du courant : l’effet Joule est nul. Dans ce cas l’électricité peut y tourner quasiment indéfiniment. Mais là encore les quantités d’électricité en jeu sont très faibles et ne permettent pas d’utiliser ce procédé pour du stockage, sans parler du fait que tous les matériaux supraconducteurs connus ne le sont qu’à des températures très basses (proches de -200°C…) nécessitant un refroidissement par exemple à l’azote liquide… pas pratique !

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(4) La production d’électricité doit être égale à la consommation… oui, mais pas tout à fait : la production doit être en fait un peu supérieure. En effet, une petite partie de l’électricité est perdue en chemin du fait de la « résistance » que les fils opposent au passage du courant et qui font que les fils s’échauffent. On appelle cela l’effet Joule. Un partie de l’électricité produite est donc perdue sous forme de chaleur dans les fils, chaleur qui se dissipe dans la nature.
En France, en moyenne, la différence entre production et consommation à cause – entre autres – de l’effet Joule est d’environ 10% (en savoir plus).

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(5) Il existe malheureusement dans le monde des régions ou pays où cela fonctionne comme cela : c’est la disponibilité de la production électrique qui conditionne la possibilité ou non d’allumer la lumière.
C’est le cas lorsque les infrastructures et/ou la production électrique sont défaillantes : la population bénéficie lors de l’électricité seulement sur certaines périodes de temps (lire ici par exemple, la situation à Gaza : quelques heures d’électricité par jour seulement possibles…).
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(6) Précisons pour être complet qu’il n’y pas forcément des aimants dans tous les alternateurs. Il est possible de remplacer les aimants par des bobinages de fil de cuivre enroulés autour de noyaux de fer et alimentés en courant continu. Un tel dispositif génère un champ magnétique similaire à celui d’un aimant. On appelle cela un « électro-aimant ».
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(7) Et si on fait l’hypothèse que l’on va réussir prochainement à basculer vers une société de dé-croissance, basée sur la sobriété, cela ne nous permettra-t-il pas de diminuer notre consommation d’électricité ?
Hélas non : 85% de l’énergie consommée dans le monde est d’origine fossile et est consommée à 80% sous une forme non électrique. S’en passer est irréaliste sans un report massif vers des usages électriques bas carbone, impliquant une augmentation de l’utilisation de l’électricité.

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4 réponses
  1. Ph. Sever
    Ph. Sever dit :

    Merci Philippe,

    C’est limpide, sans pour autant faire de compromis sur le niveau scientifique du contenu.
    Tu maîtrises un exercice difficile, félicitations !

    Deux petites questions complémentaires :

    __ Tu considères que « l’énergie nucléaire permet de produire de l’électricité bas carbone de manière pilotable », au même titre que les STEP. Le béotien que je suis imagine pourtant qu’il est plus aisé d’ouvrir une vanne pour laisser couler de l’eau que de remettre en puissance une centrale nucléaire en quelques minutes. Qu’en est-il exactement ?

    __ Je te cite : « En France, en moyenne, la différence entre production et consommation à cause – entre autres – de l’effet Joule est d’environ 10% ». Cela me semble énorme. N’y a-t-il pas là d’importantes économies d’énergie réalisables en privilégiant la multiplication des petites structures de fourniture d’énergie, au détriment des grosses centrales (nucléaires par exemple) ?

    Bonne fin de semaine
    Ph. S.

    Répondre
    • Philippe
      Philippe dit :

      Merci Philippe :-)
      Tes questions et ton intérêt me font plaisir. Je vais tâcher de répondre au mieux (et il y a un peu de boulot parce que ce sont de bonnes questions ! ;-)
      Sur la différence de « pilotabilité » entre une centrale hydraulique de barrage (au sens large, pas que les STEP) et une centrale nucléaire, tu as tout à fait raison :
      – sur une centrale hydraulique de barrage, entre le moment où l’ordre tombe et le moment où les vannes sont ouvertes et la centrale produit à la puissance désirée, il se passe quelques minutes, typiquement environ 3 minutes. C’est rapide, les centrales hydrauliques sont assez réactives.
      (le cas des centrales hydrauliques « au fil de l’eau » est à part : au lieu de les garder en réserve et de les activer à la demande, elles tournent en permanence)
      – Sur une tranche de centrale nucléaire, la plupart des réacteurs sont prévus pour une modulation de puissance possible de 80% en 30 minutes, c’est notablement plus lent
      Ceci étant, c’est tout à fait suffisant pour répondre à certaines variations de puissance à l’échelle de la journée comme cela est fait actuellement
      A noter toutefois que les centrales nucléaires n’ont pas vocation à faire varier leur puissance souvent et de manière importante dans une journée.
      D’une part parce que ces centrales ont un structure de coût particulière : un coût fixe important à la construction, et un coût d’exploitation en fonctionnement faible (comparativement) => on a intérêt à les faire fonctionner à pleine puissance le plus possible pour rentabiliser l’investissement. Et c’est ce qu’on fait en France : le nucléaire assure le gros de la production avec des réacteurs le plus souvent possible proches de la pleine puissance. On les fait quand même un peu varier mais si possible on fait autrement.
      D’autre part parce qu’on a mieux et plus réactif pour les pointes de puissance : l’hydraulique effectivement ou d’autres moyens moins connus comme par exemple les TAC (turbines à combustion) qui peuvent démarrer en quelques minutes aussi. [Il y a par exemple deux TAC en Bretagne, à Brennilis et Dirinon, que j’ai visitées à une époque. Elles ne tournent que quelques dizaines d’heures par an en tout mais sont maintenues à chaud en permanence, prêtes à démarrer en cas de pointe. Elles fonctionnent au fioul par contre, c’est bof pour les émissions de CO2… Mais vu leurs temps de fonctionnement annuel – surtout lors des pointes hivernales – ça reste des émissions très faibles en quantité.]

      Concernant les pertes de 10%, j’ai aussi trouvé ce chiffre non négligeable. Lorsqu’un moyen de production est rapproché du lieu de consommation électrique, les pertes sont en effet moindres car l’électricité voyage sur une plus faible distance.
      Cela pose la question suivante : vaut-il mieux produire l’électricité dans des centrales puissantes et peu nombreuses en la distribuant sur tout le territoire ou dans des structures de production plus nombreuses, moins puissantes et plus proches du consommateur ?
      On serait tenté de répondre par la deuxième option compte tenu de ce qui précède. Mais la réponse n’est en fait pas si évidente. Voici deux éléments qui peuvent faire pencher pour la première option :
      1- rapporté au kWh, l’impact en terme de consommation de ressources pour fabriquer les moyens de production électrique est plus important en mode décentralisé. Illustration par l’extrême : mettre une éolienne et un panneau solaire sur chaque maison et chaque bâtiment est par exemple irréaliste car il faudrait fabriquer et renouveler une quantité colossale de ces équipements => consommation énorme de cuivre, acier, béton, silicium, etc…
      2- les scénarios qui prévoient des mix de production fortement renouvelables et décentralisés (Négawatt, ADEME, RTE…) prévoient d’importants renforcements du réseau électrique pour pouvoir assurer le « foisonnement », i.e. acheminer l’électricité quand il y a du vent/soleil à un endroit et pas à un autre. Du coup cela implique des transferts d’électricité importants et donc des pertes sur le réseau par effet Joule, on y revient…
      Le sujet est très complexe et cette question centralisé/décentralisé fait débat. D’après ce que j’en ai lu et compris, l’impact environnemental d’une production plutôt centralisée est nettement moindre et ferait plutôt quand même pencher la balance vers la première option.
      Mais l’optimum est sûrement un compromis entre les deux, comme souvent.
      @+
      Philippe

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