Où est parti le James Webb Space Telescope (JWST) ?

[Temps de lecture moyen 8 min]

Le 25 décembre 2021 vers 13h20, le très (très) gros cadeau de Noël de tous les astronomes du monde s’est envolé de Kourou, en Guyane française, à bord d’une fusée Ariane 5 : il s’agit du « JWST » (James Webb Space Telescope), successeur attendu depuis des années du fameux télescope spatial Hubble aujourd’hui en fin de vie. Mais où va-t-il aller se positionner ? Va-t-il simplement tourner autour de la Terre comme Hubble et beaucoup d’autres satellites ? Point du tout : il va aller s’installer à un endroit très précis de l’espace nommé « point de Lagrange ». Mais pourquoi donc ?? Qu’est-ce qu’un point de Lagrange ?
Explications !

Le JWST (vue d’artiste).
Le triangle rosé en dessous est un écran pour protéger le télescope de le lumière du soleil. Le télescope lui-même est au dessus : le miroir principal en orange et le miroir secondaire au bout du trépied.

Les satellites tournent, tournent…

Les satellites, comme Hubble ou le JWST, n’ont pas de moteurs (1). Ils sont lancés dans l’espace à l’aide d’une fusée qui leur donne la bonne vitesse et la bonne trajectoire et ensuite ils continuent leur orbite « sur leur lancée », tous seuls, en mode balistique.

Ils ne peuvent pas rester immobiles dans l’espace sinon ils retomberaient immédiatement : ils sont « condamnés » à tourner autour de la Terre. Pour comprendre cela, repensez au « puits gravitationnel » on fond duquel se trouve la Terre, que j’évoquais dans mon article sur les ricochets de l’espace :

« Puits gravitationnel » au fond duquel se trouve la Terre

Un satellite ne pourrait pas rester immobile en équilibre sur les parois du puits sans tomber irrémédiablement. Pour éviter la chute, il doit absolument avoir de la vitesse : grâce à l’élan que celle-ci lui procure, il peut tourner autour du puits en bénéficiant de la force centrifuge (2) qui compense la tendance à tomber dans le trou à cause de l’attraction de la Terre :

Trajectoire d’un satellite autour de la Terre : pour ne pas retomber il doit avoir une vitesse suffisante pour que la force centrifuge compense l’attraction de la Terre.
Par exemple, l’ISS tourne autour de la terre avec une vitesse d’environ 26 000 km/h.

A la recherche de la meilleure place

Pour pouvoir faire des observations dans les meilleures conditions, le JWST qui emporte des instruments ultra-sensibles doit être le plus possible à l’écart des perturbations lumineuses (3). Or la lueur de la Terre, plus précisément la lueur de la moitié de Terre éclairée par le soleil est une perturbation lumineuse importante pour lui.
Pour l’éviter, il faudrait que le JWST soit immobile, du bon côté de la Terre c’est à dire celui opposé au soleil, qui est dans l’ombre en permanence et donc très peu lumineux :

Emplacement idéal pour le JWST afin d’éviter les perturbations lumineuses :
du côté de la Terre qui est dans l’ombre par rapport au soleil.

Mais positionner le JWST à cet emplacement et l’y faire rester n’est pas possible car, comme on l’a vu, les satellites sont obligés de tourner autour de la terre sinon ils retombent… Alors comment faire ?

Les points de Lagrange

Considérons la Terre tournant autour du Soleil et oublions tout le reste : les autres planètes, leurs satellites, la lune qui tourne autour de la terre, etc… Faisons comme s’ils n’existaient pas :

La Terre tourne autour du Soleil (scoop)
(échelles non respectées)

Il existe quelques endroits dans l’espace où il est possible d’être immobile par rapport à la Terre et au Soleil. C’est ce qu’on appelle les « Points de Lagrange », nommés en l’honneur du mathématicien Joseph-Louis Lagrange qui les étudia en 1772(4). Il y en a cinq au total.

Le premier est assez intuitif : en effet on imagine facilement qu’entre la Terre et le Soleil, il y a un endroit ou l’attraction du Soleil et celle de la Terre s’équilibrent et où un satellite pourrait se tenir sans bouger. Cet endroit existe en effet, c’est le premier point de Lagrange et il s’appelle « L1 » :

Les deux points de Lagrange suivants, L2 et L3, se trouvent de part et d’autre de la Terre et du Soleil, à la distance adéquate de la Terre (resp. du Soleil) qui permet à un satellite de rester immobile à cet endroit :

Les deux derniers points, L4 et L5, sont peu intuitifs. Les lois de la mécanique céleste (je vous épargne les explications un peu complexes) nous disent qu’ils sont situés sur les côtés, sur les sommets de deux triangles équilatéraux :

Maintenant vous avez peut-être déjà deviné où va aller le JWST : sa destination est le point de Lagrange L2 qui va lui permettre de rester immobile – ou quasiment(5) – par rapport au couple Terre + Soleil (6) et de rester du côté de la Terre opposé au Soleil où on ne voit que la face à l’ombre de celle-ci.
CQFD !

Position du JWST par rapport à la Terre et le Soleil : il se situe au point de Lagrange L2.
(échelles non respectées)

Ce point de Lagrange L2 et situé à environ 1,5 millions de kilomètres de la Terre (pour fixer les idées : la distance Terre-Lune est d’environ 300 000 km et la distance Terre-Soleil est d’environ 150 millions de kilomètres)

Le JWST, 10 milliards de dollars pour quoi faire ?

Loin de toute perturbation lumineuse comme vous l’avez maintenant compris, les 4 instruments ultra-sensibles du JWST vont permettre aux astronomes de :

  • Bien mieux comprendre les premiers temps de l’univers grâce à l’observation de galaxies très anciennes et lointaines :
  • Améliorer notre connaissance de la formation et du cycle de vie des étoiles en allant voir ce qui se passe à l’intérieur les nuages de gaz et de poussières dans lesquels elle se forment :
  • Observer directement des planètes en orbite autour d’autres étoiles que le Soleil (les fameuses « exo-planètes ») et étudier la composition de leur atmosphère, avec en arrière-pensée la possibilité d’en trouver une abritant, peut-être, une forme de vie ?

Inutile de vous dire que tous les astronomes du monde attendent ce JWST avec une forte impatience, compte tenu des immenses progrès dans notre connaissance de l’Univers qu’il doit permettre.
Il ne sera toutefois pas en place avant plusieurs semaines, le temps qu’il fasse le trajet tout en se déployant petit à petit : lire ici pour en savoir plus sur toutes les étapes de ce déploiement délicat.

JOYEUSES FÊTES !
[Petit challenge : essayez de placer les « points de Lagrange » dans la conversation lors d’un repas de fêtes : si certains d’entre y parviennent, dites-le moi en commentaires ;-) ]

(1) Les satellites n’ont pas de véritables moteurs. Ils ont seulement de petits propulseurs utilisés pour ajuster finement leur orientation dans l’espace ou corriger légèrement leur trajectoire.
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(2) Pour les puristes : la force centrifuge n’existe pas réellement, en tous cas ce n’est pas une « force » au sens habituel. Elle trouve en fait son origine dans l’inertie des objets qui ont tendance à naturellement poursuivre leur mouvement en ligne droite ; quand ils sont « forcés » de prendre un virage, ils « résistent », en quelque sorte, et c’est cela la « force centrifuge » (on parle aussi de force « centripète », en fonction du sens choisi).
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(3) Cette nécessité d’éviter les perturbations lumineuses est la raison initiale pour laquelle on va mettre un télescope dans l’espace. En effet les télescopes classiques subissent les perturbations lumineuses dues à l’atmosphère : nous savons tous que vu de la surface terrestre les étoiles « scintillent », à cause des perturbations dues à l’atmosphère. Cela empêche les observations précises, qui ne deviennent possibles que dans l’espace.
On ne peut hélas pas mettre tous les télescopes dans l’espace car cela reviendrait un peu cher… mais on y en a quand même envoyé certains dont Hubble, puis maintenant le JWST.

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(4) Le mathématicien Joseph-Louis Lagrange, en 1772, étudia comment se comporte un petit corps, de masse négligeable, soumis à l’attraction de deux plus gros : par exemple le Soleil et une planète. Il découvrit qu’il existait des positions d’équilibre pour le petit corps, des endroits où toutes les forces se compensent : ce sont les points de Lagrange.
NB : cela fonctionne pour n’importe quel couple de corps célestes tournant l’un autour de l’autre. Par exemple il existe aussi des points de Lagrange du système Terre + Lune.
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(5) En fait le JWST ne sera pas complètement immobile au point L2 : il va orbiter légèrement autour de celui-ci, à quelques centaines de milliers de km de distance. Ainsi, il sera sûr de ne pas passer dans l’ombre de la Terre (dans laquelle se trouve, si vous avez bien suivi, le point L2) ce qui garantira que ses panneaux solaires restent alimentés en permanence.
A noter au passage qu’il ne sera pas seul là-bas : les satellites Herschel, Planck et Gaïa s’y trouvent déjà, orbitant eux aussi autour de L2.

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(6) C’est là qu’est l’astuce : lorsque que le JWST est au point L2 il est immobile par rapport au couple Terre + Soleil. Mais il n’est pas immobile par rapport à la Terre seule : il tourne bien autour d’elle ! Bon OK il n’est pas facile de se représenter cela concrètement dans l’espace : il faut imaginer que le mouvement de JWST autour de la Terre ET le mouvement de la Terre autour du Soleil se combinent, de sorte que par rapport au couple Terre + Soleil, JWST est immobile.
Ainsi il n’y a pas de contradiction avec le fait que les satellites doivent obligatoirement tourner autour de la Terre…
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Sources des photos et articles à lire pour en savoir plus :

https://blogs.letemps.ch/pierre-brisson/2021/12/11/la-merveille-technologique-quest-le-jwst-va-nous-permettre-de-faire-un-saut-dans-nos-capacites-dobservation-de-lunivers-proche-et-lointain/

https://fr.wikipedia.org/wiki/James-Webb_(t%C3%A9lescope_spatial)

https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/univers-point-lagrange-l2-4539/

https://twitter.com/EricLagadec/status/1462777992543981569

2 réponses
  1. Jean Pierre Gallot
    Jean Pierre Gallot dit :

    Ça y est ! Je sais ou le Père Noël se cache toute l’année ! Surement en L2. Mais alors, JWST va le déloger ?
    Bref, encore une très bonne illustration du génie humain.
    Jean Pierre

    Répondre

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