L’homéopathie : comment ça marche ?

[Temps de lecture moyen 12 min]

Vous vous soignez régulièrement avec des traitements homéopathiques ? Ou a contrario vous n’en prenez jamais ? OK, mais connaissez vous au moins les grands principes de l’homéopathie ? Qui l’a inventée, quand ? Comment fabrique-t-on les préparations homéopathiques ?
Je vous embarque dans cet article pour vous expliquer tout ça ; normalement, vous allez apprendre des trucs !

Un peu d’histoire pour commencer

L’homéopathie est beaucoup plus ancienne qu’on ne le pense généralement : son fondateur est un médecin allemand, Samuel Hahnemann (1755-1843).

A son époque, la médecine n’était pas encore entrée dans l’ère de la médecine moderne : la théorie des « humeurs » avait encore cours et les saignées – qui ont dû à l’époque achever plus d’un patient au lieu de le guérir – étaient toujours pratiquées… S. Hahnemann, déçu par le manque de résultats de la médecine de son époque qu’il a pratiquée quelques années après ses études de médecine, a cessé de l’exercer vers 1790 pour se consacrer à des études de chimie et à l’analyse des substances médicamenteuses. C’est dans ce cadre qu’il a commencé à étudier l’effet des plantes sur les patients et a expérimenter le « principe de similitude », formulé au 3ème siècle avant JC par Hippocrate.

Samuel Hahnemann

Fondement premier de l’homéopathie : le principe de similitude

Qu’est-ce que ce principe ? S. H., constatant (sur lui-même !) que le quinquina, utilisé à petites doses pour soigner la malaria, provoquait à haute dose de fortes fièvres similaires à celles de la malaria, en déduisit qu’une petite dose de poison pouvait avoir un effet soignant sur une pathologie aux mêmes symptômes. Dit autrement, une substance peut guérir, à faible dose, les symptômes qu’elle provoquerait à des doses plus importantes : c’est cela le principe de similitude.

Convaincu d’avoir révélé une loi de la nature et de pouvoir ainsi, enfin, faire avancer la médecine, il publia en 1810 un ouvrage, « Organon de l’art de guérir« , qui fonde l’ « homéopathie » (« soigner par le même » en grec ancien) sur la base de ce principe de similitude.

Deuxième principe de l’homéopathie : la dilution

Pour ne pas faire subir au malade les effets nocifs de la substance administrée, il faut en diminuer fortement la concentration sinon il y a un risque d’empoisonner le malade. S.H. pose donc le « principe de dilution » consistant à diminuer très fortement les concentrations en substance active des préparations homéopathiques.
Toutefois, en diminuant beaucoup la concentration des substances, leur effet diminue aussi fortement. Pour éviter ce phénomène, la préparation des traitements homéopathiques comprend un procédé spécifique : à chaque étape du processus de dilution, la préparation subit des secousses répétées. Ce procédé, appelé « dynamisation », a pour objectif d’ « activer » la substance.

La préparation des substances homéopathiques

Revenons sur le principe de dilution, que vous connaissez certainement car il se traduit par ce chiffre qui apparaît sur les préparations homéopathiques : 6CH, 9CH, 12CH par exemple. Que veulent dire ces chiffres ?
C’est simple, pour diluer une substance afin de préparer un remède homéopathique, le procédé est le suivant :
– à partir d’une substance initiale contenant le produit actif, en prélever une goutte.
– diluer cette goutte de substance dans 99 gouttes de solvant (eau alcoolisée).
– on obtient une substance diluée 100 fois (i.e. contenant 100 fois moins de produit qu’initialement). C’est une substance à 1CH : CH signifie « Centésimale Hahnemannienne ».
– secouer de manière répétée (vous vous souvenez, c’est la dynamisation)
– recommencer en prélevant une goutte de la substance diluée 100 fois et suivre toutes les étapes pour obtenir une nouvelle substance encore plus diluée : 100×100=10 000 fois, soit 2CH.
– recommencer encore jusqu’à la dilution désirée : 3CH (1 millions de fois), 4CH (100 millions de fois), 5 CH, etc… jusqu’à 30CH au maximum pour certaines préparations spécifiques.
– pour terminer, arroser des granules de sucre avec la préparation diluée finale et laisser sécher.

A noter qu’il existe deux autres modalités de dilution des préparations homéopathiques :
– la Décimale Hahnemannienne (DH), identique à la CH sauf qu’on ne dilue que 10 fois à chaque étape et non 100 fois. On obtient des dilutions à 1DH, 2DH, 3DH, etc… en fonction du nombre de fois où sont répétées les étapes.
– la dilution Korsakovienne : ce procédé consiste non pas à prélever une certaine quantité de substance (1/10e ou 1/100e) pour la diluer dans de l’eau, mais à vider entièrement le flacon de la substance initiale pour le remplir d’eau, considérant que les gouttelettes restées sur la parois du flacon contiennent une quantité de substance active suffisante. On obtient des dilutions à 1K, 2K, 3K, etc… en fonction là aussi du nombre de fois où sont répétées les étapes.

Ces principes fondateurs sont toujours rigoureusement respectés aujourd’hui, à ceci près que leur mise en application s’effectue de manière industrielle dans les laboratoires pharmaceutiques (en France, le plus connu est bien sûr les laboratoires Boiron) et non plus artisanalement.

Est-ce que les traitements homéopathiques sont efficaces ?

Voilà une question à l’origine de nombreux débats passionnés jusque dans les repas de famille !
A ma gauche : « L’homéopathie n’est qu’un placebo, voyons, c’est prouvé scientifiquement ! »
A ma droite : « Bien sûr que les traitements homéopathiques sont efficaces, j’en prend moi même régulièrement, j’en donne à mes enfants, et ça marche je le constate réellement ! »

Points de vues irréconciliables : en effet, pour quelqu’un qui se soigne régulièrement avec des traitements homéopathiques et qui constate réellement, dans sa chair, une efficacité de ces traitements sur ses symptômes, l’avis du scientifique de la famille qui assène « ce n’est qu’un placebo » (notez le « qu’  » dans la phrase, mortel !) est parfaitement contradictoire avec son ressenti, heurte sa conviction profonde et est très difficilement entendable. Dialogue de sourds assuré à suivre.

Bon, que dit effectivement la science à propos de l’homéopathie ?
Depuis que l’homéopathie existe, des milliers d’études ont été menées à son sujet et le consensus scientifique très clair qui en ressort est le suivant : « On n’observe pas d’effet des traitements homéopathiques qui soit supérieur à celui d’un traitement placebo« . Le constat est sans appel, insensé diront les partisans de l’homéopathie, MAIS il y a un détail, un gros détail, qui change tout : c’est l’efficacité de l’effet placebo lui-même ! Celui-ci est en effet bien réel et peut être puissant et efficace, et c’est là que réside la clé pour réconcilier tout le monde : oui, l’homéopathie n’est pas plus qu’un placebo mais oui, l’homéopathie peut être efficace, grâce à l’effet placebo ! Retenez-bien : la science ne dit pas que l’homéopathie « ne marche pas » ou « est sans effets ».
[Et c’est là que normalement vous vous dites « Caramba, je commence à comprendre, l’efficacité de l’homéopathie vient de la puissance de l’effet placebo ! » Ah non, pas encore ?? Poursuivons alors.]

L’effet placebo

Rappelons tout d’abord qu’un placebo est « une substance ou un procédé thérapeutique n’ayant aucune efficacité propre ou spécifique sur l’organisme [une gélule de sucre par exemple] mais agissant sur le patient par des mécanismes psychologique et physiologiques. »
Longtemps déconsidéré et peu étudié, l’effet placebo (du latin placere : plaire) a été – jusqu’à il y a une quinzaine d’années – totalement sous-estimé. Pourtant, des études récentes ont montré la réalité et l’importance de ses effets sur l’organisme, particulièrement pour lutter contre la douleur. Jugez-en plutôt :
– un placebo absorbé par un patient dans l’objectif de lutter contre la douleur va induire dans son organisme la sécrétion bien réelle de substances opiacées, qui vont effectivement combattre la douleur et améliorer la condition du malade.
– des personnes souffrant d’angine de poitrine à qui l’on fait croire qu’elles ont été opérées – anesthésie, incisions de la peau identiques aux personnes réellement opérées – vont se remettre aussi bien qu’une personne réellement opérée, simplement par effet placebo.
– l’effet placebo fonctionne tout aussi bien – et même mieux – sur les enfants,
– l’effet placebo fonctionne aussi sur les animaux
– l’effet placebo fonctionne aussi sur une personne qui sait que le traitement qu’on lui donne est un placebo (mais il est alors moins efficace).

Dans le cas des traitements homéopathiques, il existe un facteur qui renforce fortement l’efficience de l’effet placebo. Il s’agit du troisième principe de l’homéopathie, dont je n’ai pas encore parlé, nommé le principe de globalité. Il consiste, pour le médecin homéopathe, à prendre en compte chaque personne dans sa globalité (physique et psychique) et dans ses spécificités individuelles. Pour mettre en application ce principe, un médecin homéopathe prendra systématiquement le temps de questionner son patient, de discuter avec lui pour mieux le comprendre : son mode de vie, son travail, ses habitudes, son alimentation, ses petits tracas de santé, etc… Or, il a été démontré que lorsqu’un médecin – qu’il soit homéopathe ou non – se comporte de la sorte lors d’une consultation avec un patient, alors cela augmente très fortement l’efficience de l’effet placebo qui sera déclenché chez le patient, quel que soit le traitement ou l’action thérapeutique prescrite par ce médecin ! Même en médecine classique (les homéopathes parlent de médecine « allopathique »), l’effet placebo joue ainsi un rôle très important : il s’ajoute à l’effet des médicaments et aidera à lutter contre les symptômes. Un patient se sentira bien mieux soigné par un médecin qui l’aura reçu, questionné, écouté, que par un médecin qui l’aura expédié en 5 minutes, même s’ils ont prescrit rigoureusement le même traitement !

Pour finir

Les traitements homéopathiques, s’ils permettent d’aider à lutter contre certains symptômes, notamment la douleur, ne peuvent malheureusement pas guérir. En effet, l’effet placebo, bien que réellement efficace sur certains symptômes :
– ne peut pas détruire les virus,
– ne peut pas tuer les bactéries,
– ne peut pas s’attaquer à des cellules cancéreuses,
– ne peut pas corriger une anomalie génétique,
– ne peut pas déclencher la production d’anticorps comme un vaccin.
De ce fait, toute pathologie ou affection nécessite une véritable prise en charge médicale et un traitement adéquat pour sa guérison, d’autant plus si elle présente un caractère de gravité.

Nota, de saison :
Des préparations homéopathiques vont bientôt être proposées comme alternative au vaccin contre la grippe. Elles n’ont absolument pas démontré leur efficacité. Pour obtenir une protection réelle – bien que non absolue, hélas – contre la grippe, seul un véritable vaccin est efficace (cf l’avis de l’ANSM ou du Conseil Supérieur d »Hygiène Publique de France).

Voilà, j’ai passé du temps à préparer et rédiger cet article que vous avez dû lire en 10 min, j’espère qu’il vous aura permis de mieux comprendre l’homéopathie, sur quoi elle est efficace, sur quoi elle ne l’est pas, et pourquoi !

Pour les lecteurs motivés, quelques compléments :

Comment sont menées les études scientifiques qui ont pour objet l’étude de l’effet des traitements homéopathiques ?
Comme pour les essais thérapeutiques réalisés sur n ‘importe quel médicament, le principe général est assez simple :
– recruter un échantillon de personnes pour participer à l’étude. Plus l’échantillon sera important (en nombre de personnes) et plus le résultat sera significatif.
– s’assurer de sa représentativité par rapport à la population générale, selon différents critères (âge, poids, antécédents médicaux, fumeur/non fumeur, etc…) (*)
– séparer aléatoirement l’échantillon en deux groupes : l’un qui recevra le traitement à tester et l’autre un placebo.
– procéder à l’administration du traitement en « double aveugle », c’est à dire que :
1. les personnes qui reçoivent le traitement ne savent pas si on leur donne le traitement à tester ou un traitement placebo
2. les soignants qui administrent le traitement ne savent pas si elles donnent le traitement à tester ou le traitement placebo.
Cela est nécessaire pour éliminer tout effet d’influence sur le soigné qui pourrait fausser le résultat.
– suivre les membres de l’échantillon et recueillir le maximum d’informations sur leur état et son évolution : amélioration, détérioration, effets secondaires, …
– interpréter ces résultats pour conclure (si possible !). Pour cela, on fait appel à des traitements mathématiques statistiques pour produire les résultats, permettant notamment de s’assurer qu’ils sont bien significatifs.

Dans le cas des traitements homéopathiques, les études de ce type donnent, de manière constante (sur plusieurs milliers d’études réalisées partout dans le monde, comme indiqué plus haut), le résultat suivant :
on ne constate pas de différence d’effet significative entre le groupe qui reçoit un placebo et le groupe qui reçoit le traitement homéopathique. Les personnes qui reçoivent le traitement homéopathique n’ont pas plus d’amélioration de leurs symptômes que celles ayant reçu le placebo !
Face à ce constat factuel, les laboratoires pharmaceutiques qui produisent des traitements homéopathiques ont fini par quasiment cesser de mener ce genre de recherche : le budget Recherche & Développement de Boiron, par exemple, est bien inférieur à celui d’autres laboratoires pharmaceutiques : 0,5% de son chiffre d’affaires contre par exemple 15% pour Sanofi (lire ici) …

D’un point de vue scientifique, comment explique t-on cette absence d’effet spécifique ?
L’explication est à chercher du côté de la dilution extrême des préparations homéopathiques. En effet, il se trouve qu’il existe une quantité minimale qu’un être humain doit absorber pour que n’importe quelle substance puisse avoir un effet observable. En dessous de cette quantité minimale, vous pouvez absorber n’importe quelle substance, même le plus violent des poisons, cela n’aura aucun effet. Cette quantité minimale est autour de 1 milliardième de gramme (1 nanogramme). Or, vu la très forte dilution atteinte, la quantité de substance active présente dans un traitement homéopathique est très vite en dessous du nanogramme (pire : à partir de 12CH, il n’existe plus aucune molécule de produit actif dans la préparation !). D’où l’absence d’effet.
Pour s’opposer à cet explication les homéopathes argumentent que le procédé de « dynamisation » (en secouant fortement la préparation à chaque étape de la dilution) permet de « réactiver » la substance malgré la forte dilution. Toutefois nous ne connaissons aucun mécanisme physico-chimique capable d’expliquer cette « réactivation ». Dans les années 80, l’affaire de la « mémoire de l’eau » a défrayé la chronique : c’était un candidat potentiel pour expliquer la persistance d’un effet malgré la dilution mais il a été clairement montré que cet effet « mémoire de l’eau » n’existe pas.
Ajoutons que le « principe de similitude », sur lequel S Hahnemann a construit empiriquement l’homéopathie, n’a purement et simplement aucun fondement réel.

Post-scriptum

J’ai hésité avant de me lancer dans la rédaction de cet article. La raison de mon hésitation est la suivante : si l’effet placebo est moins efficace lorsque le patient sait qu’il prend un placebo, pourquoi dévoiler le pot aux roses concernant l’homéopathie ? Pourquoi ne pas laisser mes lecteurs qui prennent des traitements homéopathiques dans la croyance en l’efficacité de ces traitements, puisque cela améliore l’efficience de l’effet placebo ?

Voici deux raisons qui m’ont incité à le rédiger et le publier malgré cela :

1- la perte de chance.
Certaines personnes, atteintes de maladies graves, se tournent vers l’homéopathie pour traiter leur pathologie au lieu de la médecine classique. C’est dramatique car pour elles cela constitue une perte de chance grave. Connaître la réalité de l’homéopathie me semble important pour éviter ces comportements dus à de fausses croyances.
Ces cas restent, en France, heureusement rares mais dans certains pays sous développés, les traitements homéopathiques sont utilisés à la place des traitements classiques trop chers pour être proposés dans ces pays. Des gens meurent ainsi faute d’être correctement soignés ! Au nom de quoi les plus pauvres devraient-ils se passer de vrais médicaments ??!

2- la vérité.
Un de mes buts dans la vie, et sur ce blog, est la quête de la vérité. Peu de choses me semblent plus importantes que de tenter d’approcher et de comprendre, de la manière la plus objective possible, la réalité du monde. Le monde tel qu’il est, réellement.
L’homéopathie est un des sujets sur lequel je suis navré de voir des idées fausses circuler, et de nombreuses personnes être induites en erreur par ces idées. Il me semble fondamental de tenter de rétablir la vérité.

Quelques liens pour aller plus loin :
Les principes de l’homéopathie, sur le site Doctissimo
Intéressant article de synthèse sur l’effet placebo notamment chez l’enfant, sur le site Pediadol
Article de synthèse sur l’homéopathie, sur le site de l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique)
Ce que dit la science sur l’homéopathie, sur le site du Monde
Le parcours surprenant de Nathalie Grams, médecin homéopathe, sur le site de l’AFIS

(*) Petite anecdote en passant, hors sujet : jusqu’à très récemment, le critère homme/femme n’était pas pris en compte et la plupart des tests de médicaments effectués par les laboratoires n’étaient réalisés que sur des hommes ! Ce n’est que très récemment que des chercheurs ont relevé, dans certains cas, de petites différences d’effet entre les hommes et les femmes, ce qui pourrait (devrait) remettre en cause le fait de ne sélectionner que des hommes pour réaliser des essais thérapeutiques…

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