L’ « effet rebond », vous connaissez ?

[Temps de lecture moyen 5 min]

Bien peu de gens ont entendu parler de l’« effet rebond ». Pourtant la compréhension de ce phénomène est fondamentale pour qui s’intéresse à la question des économies d’énergie et, plus largement, à celle de la consommation de ressources de l’Humanité.

Alors je vous propose, dans cet article, de procéder comme suit : je vous donne une définition « brute » de ce phénomène, ensuite j’explique avec des exemples, et je termine avec un petit conseil d’auto-défense intellectuelle pour vous aider à vous faire votre opinion sur certaines annonces que l’on voit régulièrement passer dans les médias. C’est parti !

L’effet rebond peut se définir comme suit :

On appelle « effet rebond » la façon dont certains gains environnementaux obtenus grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique (isolation, chauffage plus performant, diminution des consommations des véhicules, etc.) vont être réduits ou annulés par une augmentation des usages.

Comment se fait-ce ?
Pour comprendre, prenons l’exemple de la consommation des véhicules. Les constructeurs automobiles fabriquent des voitures depuis des décennies, quasiment un siècle en fait : les débuts de la production en masse des automobiles, c’est la Ford T aux USA et c’était dans les années 1920. Pendant tout ce temps, les ingénieurs du monde entier n’ont pas cessé d’améliorer les moteurs pour en optimiser le fonctionnement, la puissance délivrée et la consommation de carburant.

Le graphique ci-après montre l’évolution, pour différents pays et pour le monde, de la consommation moyenne des véhicules légers depuis 2005 :

On voit bien la diminution de la consommation moyenne des véhicules, résultat des efforts de tous les constructeurs pour améliorer l’efficacité énergétique de leurs moteurs. C’est le cas dans tous les pays de ce graphique, et notamment de la France.
En toute logique, cette amélioration de l’efficacité énergétique devrait se traduire par une diminution globale de la quantité de carburant consommé, permettant ainsi de diminuer les émission de CO2, diminuer notre dépendance au pétrole importé, diminuer notre facture énergétique, etc…
Et bien en fait… non.

Voici l’évolution de la quantité totale de carburant consommé en France depuis 2004 :

Que voit-on ? La consommation de carburant est quasi-stable, autour de 50 millions de mètres cube par an.

Pourquoi ne baisse-t-elle pas ? L’explication est la suivante : plus les voitures s’améliorent en termes de consommation de carburant moyenne et plus elles sont attractives : elles coûtent moins cher aux propriétaires lors de leur utilisation, par conséquent ceux-ci vont pouvoir parcourir plus de km avec leur voiture pour le même prix… Ou alors, avec les économies réalisées, ils vont pouvoir s’acheter la deuxième voiture dont ils rêvent… Et bien sûr les constructeurs, de leur côté, ne vont pas manquer de vanter dans leurs publicités cette faible consommation de leurs voitures : ils vont donc en vendre en plus grande quantité.

Résultat : la consommation totale de carburant ne baisse pas.
Il est possible d’aller plus loin dans l’explication : en effet, depuis le temps que les ingénieurs travaillent sur le sujet, les voitures devraient aujourd’hui consommer beaucoup moins que environ 6l/100 km (en France) en moyenne. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? Et bien c’est parce que, depuis des décennies nos voitures s’alourdissent du fait des équipements et des amélioration de confort et de sécurité qu’on y ajoute : direction assistée, climatisation, isolation phonique, ABS, résistance aux crash-test, accessoires et assistance électroniques… et ce surpoids consomme une partie des gains d’efficacité énergétique chèrement grappillés année après année !
C’est ça l’effet rebond : on améliore l’efficacité énergétique d’un produit, ce qui devrait diminuer la consommation d’énergie, mais en réalité, la consommation totale d’énergie ne baisse pas car l’utilisation du produit s’accroît en parallèle.

L’automobile est un des exemples les plus parlants mais on peut les multiplier :
– transport aérien : la baisse de la consommation de kérosène des avions par passager est compensée par la hausse du trafic aérien
– secteur du numérique : depuis les premiers ordinateurs, la consommation d’énergie par appareil des appareils numériques a fait des progrès colossaux. Pourtant, chaque année, la consommation totale d’énergie des appareils numériques augmente sans cesse (plus de 5% par an)
– isolation des logements : les économies d’énergie réalisées sur le chauffage d’une maison peuvent permettre aux propriétaires d’acheter une deuxième voiture, consommatrice d’énergie
– …

Alors voilà, un petit conseil lorsque vous entendez une annonce médiatique informant que tel ou tel produit ou machine va désormais consommer moins d’énergie par kilomètre, ou par passager ou par produit, méfiez-vous : l’effet rebond risque probablement de réduire fortement ou annuler les progrès attendus, voire même de faire empirer la situation, car ce qui compte c’est la consommation totale.

Exemple : Air-France a annoncé en octobre 2019 se fixer pour objectif, d’ici 2030 , de réduire de 50% ses émissions de CO2 au passager/km par rapport à 2005 (lire ici). Fort bien. Mais dans le même temps, les prévisions d’augmentation du trafic aérien sont de l’ordre de 5 à 6% par an (lire ici). Faites le calcul : en 2030 l’augmentation du trafic sera de bien plus de 50% et aura totalement compensé la réduction des émissions au passager/km. Résultat : les émissions de CO2 des avions d’Air-France n’auront absolument pas diminué d’ici 2030(*).
[Vous allez me dire que Air-France fait maintenant des vols « neutres en carbone »… c’est hélas mensonger, j’en parlerai peut-être dans un autre article : ce n’est pas parce qu’on donne de l’argent à des organismes œuvrant pour la protection des forêts que les émissions de CO2 des avions s’évanouissent comme par magie…]
NB : je n’ai rien contre Air-France spécifiquement, ce n’est qu’un exemple !

Les objectifs environnementaux que l’on se fixe n’ont de sens qu’en valeur absolue : baisse de la consommation d’énergie totale, baisse des émissions de CO2 totale, baisse globale des consommations de matière première. Les baisses relatives i.e. par produit, par passager, par kilomètre…, seules, sont insuffisantes à cause de l’effet rebond.

Pour finir, une précision : entendons-nous bien, je ne suis pas en train de dire que les actions d’amélioration de l’efficacité énergétique sont inutiles ; toutefois pour qu’elles soient efficientes, il est indispensable, en sus, de mettre en œuvre des mesures de sobriété limitant au maximum l’effet rebond.

Pour aller plus loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_rebond_(%C3%A9conomie)

https://www.alternatives-economiques.fr/leffet-rebond-lefficacite-energetique-accroit-demande/00066786

https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/les-economies-denergie-cest-juste-des-ampoules-basse-consommation/

(*) S’agissant du secteur de l’aéronautique, il ne vous aura pas échappé que la crise sanitaire liée au coronavirus est survenue après ces annonces, ce qui – pour l’instant – change complètement la donne dans ce secteur. Mais vous avez compris le principe !

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