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Un petit peu « attrape-clic » ce titre, vous trouvez ? Mmoui j’admets ;-)

Je vais vous présenter une carte du monde, tirée du livre suivant, que je recommande au passage à tous ceux qui s’intéressent aux cartes originales et décalées (ceci n’est PAS un placement de produit hein, je n’en suis pas là, juste un conseil de lecture !) :

« Mad Maps » de Nicolas Lambert et Christine Zanin

Ceux qui connaissent un peu la cartographie savent qu’aucune carte n’est une description purement objective d’une réalité géographique. Toutes les cartes ont un parti pris, celui de leur créateur : un cartographe qui créée une carte a toujours une idée derrière la tête, un certain regard sur le monde, qu’il souhaite partager.

Quand, en 1942, l’océanographe et géophysicien d’origine sud-africaine Athelstan Frederick Spilhaus crée la carte ci-dessous, son parti pris est de mettre au centre du monde les régions marines. Symboliquement cette carte a pour but de nous faire prendre conscience de l’importance des mers et des océans sur notre planète. En effet :

  • les mers et océans couvrent 71% de la surface du globe
  • depuis sa formation il y environ 4,5 milliards d’année, la Terre est couverte d’océans
  • la vie sur Terre est née dans les océans il y a quelques 4 milliards d’année ; elle n’a colonisé les terres émergées que tardivement il y a environ 500 millions d’années
  • la majeure partie de l’oxygène que nous respirons a été produit par du plancton vivant dans les océans
  • les océans absorbent 90% de nos rejets de CO2 : nous pouvons leur dire merci, sans eux le taux de CO2 dans l’atmosphère aurait déjà atteint des sommets, avec des conséquences climatiques peu enviables
  • les océans absorbent 90% du surplus de chaleur produit par l’augmentation de l’effet de serre dû aux activités humaines – émissions de CO2, méthane et autres GES – : ils agissent ainsi comme un gigantesque temporisateur du climat (cf l’histoire du tonneau d’eau dans les caves, à la fin de mon article « Une vague de CO2, et alors ?« ) en ne se réchauffant que très lentement malgré ce flux de chaleur (*)

Voilà la carte qu’il a créée :

J’adore cette carte :-)

Mais comment est-elle construite ? Pour le comprendre, imaginez que la Terre est une orange et que sa surface est représentée par la peau de l’orange. Imaginez que vous pelez l’orange pour récupérer la peau et l’étaler sur la table : ce sera votre carte. Pour obtenir la carte de Spilhaus, il faut juste satisfaire les trois petites contraintes suivantes :
– la pelure devra être en un seul morceau (défi pas facile mais c’est faisable… peut-être un peu difficile avec une orange dont la peau épaisse va se casser mais disons avec une clémentine c’est OK, on a tous déjà fait ça, non ?)
– il faut s’arranger pour que la déchirure passe uniquement sur les continents et ne coupe jamais un océan.
– on suppose que la pelure est un peu déformable, sinon il sera impossible de l’étaler sur une table plate.

Observez bien la carte et vous verrez que la déchirure commence en gros en Scandinavie, part vers l’Est à travers la Russie et la Sibérie, traverse le détroit de Béring (petite entorse à la règle de ne pas passer sur l’océan… mais le détroit de Béring n’est pas large, environ 80km pour 50m de profondeur, c’est acceptable) puis redescend vers le sud à travers l’Amérique du Nord, l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud, jusqu’en Patagonie. Un sympathique voyage à faire un jour en vrai, non ? Concrètement, ce voyage reviendrait à faire le tour de cette carte, en fait, soit par un côté soit par l’autre :-))
En déchirant la pelure de la sorte, les continents Europe et surtout Afrique sont épargnés, par contre l’Asie et les Amériques sont littéralement écartelées, tandis que l’Antarctique trône en position centrale, intacte.

Voilà une façon inédite de voir notre monde non ?

Je termine avec un chiffre : 3,42.
Il s’agit, en mm/an, de la mesure actuelle par satellite de la vitesse moyenne(**) de montée du niveau des océans depuis 1993. Soit 3,42 cm en 10 ans, ou 34,2cm en 100 ans, si la vitesse reste constante (mais en fait elle augmente et la hausse accélère). Et cela va continuer ainsi pendant plusieurs siècles, quoi qu’on fasse, parce que nous avons déjà gagné un degré sur le température globale de l’atmosphère et que la conséquence de ce degré déjà gagné est une hausse des océans inexorable dans les siècles à venir. Un chiffre à avoir en tête.
[Source de ce chiffre]

(*) Pourquoi ce réchauffement des océans est-il aussi lent ? C’est à cause de la différence de « capacité thermique » entre l’air et l’eau, qui fait qu’il faut beaucoup plus de chaleur pour augmenter d’un degré la température d’un volume d’eau, que pour monter d’un degré la température d’un même volume d’air. Il est facile de prendre conscience de cela : on sait tous que lorsqu’on allume le feu d’une gazinière, l’air au dessus du feu se réchauffe en quelques secondes, il suffit d’y mettre la main pour le sentir tout de suite. Par contre l’eau d’une casserole mettra de longues minutes à se réchauffer : on peut laisser la main dans l’eau un bon moment avant de devoir la sortir parce que ça devient trop chaud.
Ainsi, malgré le flux de chaleur permanent en surplus causé par l’augmentation des gaz à effet de serre, celui-ci ne fait augmenter la température des océans que très lentement (à notre échelle humaine, du moins).

(**) Cette vitesse moyenne masque des disparités régionales : en fonction des régions du monde la hausse est plus ou moins importante.
Il existe même des endroits où le niveau des océans baisse par rapport au rivage, par exemple en Scandinavie ! Comment est-ce possible ? Et bien c’est parce que dans ces régions le sol monte, plus vite que la mer… La raison de cette hausse du sol est une conséquence de la fin de la période glaciaire, qui date pourtant d’il y a plus de 10000 ans. En période glaciaire, le poids des calottes de glace de plusieurs kilomètres qui recouvrent certaines région enfonce le sol dans le manteau terrestre. En fin de période glaciaire, le sol allégé remonte mais très lentement : il met des milliers d’années à retrouver un équilibre sans poids de glace au dessus de lui.

PS : vous avez remarqué la petite coccinelle, un peu au dessus d’ici, juste avant les notes de bas de page (*) et (**) ??
Clin d’œil à Gotlib : dans ses BD il faut lire les petites histoires de la coccinelle, sinon on loupe quelque chose ; et bien dans mes articles c’est pareil, il faut lire les petites étoiles sinon vous loupez des infos ! ;-)